7 - réécrit

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18h et la journée s'achève enfin. Perso les cours de grammaire ne m'ont jamais vraiment branchés. En dernière heure le lundi c'est encore pire.

Je jette un dernier coup d'œil à mon portable. Pas de message. Enfin si, un de papa "tu me manques ma chérie, quand est-ce que tu passes" et un autre d'une pote qui veut que je lui passe les cours. L'important c'est que Joli-cœur ne m'a toujours pas répondu alors que mon texto date de samedi. Quel enfoiré.

Je me dépêche de ranger mon ordi et je sort de l'amphi. En jouant des coudes j'arrive à sortir dans les premières. Je m'échappe littéralement de la fac.

J'attends Abi dans un coin à l'ombre : elle et moi on est pas dans la même filière alors on ne suit jamais les mêmes cours. Madame préfère étudier l'anglais. Quelle langue de merde. On galère déjà avec notre langue maternelle, j'ai jamais compris pourquoi on s'emmerderait à en apprendre une autre. Bref, passons.

Je la vois arriver au loin alors je la retrouve et on se tchèque.

-Alors ?, elle me demande.

J'affiche une moue perplexe.

- Mi-fascinée, mi-morte d'ennui, je réplique. Café ?

C'est notre petite routine. Je remarque que mon amie est hésitante. C'est sûr qu'elle me cache quelque chose cette salope.

- Abi !, je la réprimande.

- J'ai pas le droit, mais promis bientôt t'es au courant !, elle rit.

C'est injuste.

-Aller, salut.

Elle me fait un bisous sur la joue et me plante là, comme une fleur.

Piquée, je me dirige vers le métro et prends la 10. J'arrive pile-poil à temps. Ouais, pile dans le wagon qu'est hyper bondé ! Je vise mes écouteurs et lance Seven Nation Army de The White Stripes. J'essaie de m'évader du monde autour mais sans réel succès. Difficile avec les odeurs corporelles et les blabla incessants. Sans parler des gosses qui pleurent.

Les gens devraient vraiment être interdits dans les transports en commun.

Je détache les yeux de mon cellulaire et regarde droit devant moi. Histoire de faire genre je regarde personne alors qu'en réalité je m'inspecte dans la vitre. C'est une bonne vieille technique ancestrale mais une fois sur deux on se fait griller.

Finalement j'ai pas envie de voir ma gueule alors je tourne la tête. Sauf qu'en face, enfin plutôt en diagonale, je le vois. Mon camarade de sortie, toujours avec son skate. L'air méga concentré sur le barreau de la rame juste au-dessus de ma tête.

Est-ce qu'il m'a vu ?

Je crois pas. Je tente un petit sourire mais bien entendu Joli-cœur est toujours dans la lune. Forcément. Y'a que dans les livres que ça fonctionne. Au moins, ça me laisse le temps de l'inspecter.

Il porte des converses blanches, ce qui me fait sourire. Ces chaussures et moi c'est une longue histoire d'amour. Je remonte peu à peu mon regard, j'aime trop sa chemise ouverte qu'il a mis par-dessus un tee-shirt. Et sur le tout, il porte un manteau. Il doit crever de chaud sous toutes ces couches mais ça lui donne un style.

Un style de skateur, comme Lui...

Je secoue la tête, comme-ci ça allait dissiper mes souvenirs. Tentative désespérée, je ne me rappelle pas à partir de quel moment je suis devenue aussi crédule. Putain. Aller, je reprends mon inspection. À défaut de me faire oublier ça me permet de focaliser sur autre chose que le passé.

Le mec de l'autre nuit bouge mais faux espoir c'est pour prêter attention à son iphone. Je pourrais presque croire que j'suis devenue invisible en l'espace de 10 secondes. Mais bon, heureusement que Joli-cœur est vraiment concentré sinon je me serais fait cramée depuis longtemps. J'ai jamais été très discrète, surtout pour ce genre de chose.

Dommage, vu qu'il ne sourit pas je peux pas mater ses p'tites dents. Quel gâchis, en plus il a la tête baissée alors je vois pas non plus ses yeux.

Je commence à détester Apple.

Par contre je discerne sans mal ses cheveux attachés par un élastique avec ses quelques mèches qui s'échappent de sa queue de cheval. Ça m'agace un peu et j'ai bien envie de les remettre en place. Je passe à autre chose et caresse des yeux sa barbe mal fournie. Elle a l'air douce, bordel c'est irrésistible.

Je souris intérieurement. C'est pas mon genre de détailler un type à fond comme je le fais en ce moment. Sauf que je crois que c'est de la frustration sexuelle. J'aurais jamais dû le repousser cette fameuse soirée.

Au final, le fait qu'on soit dans le même wagon est peut être un signe. Une sorte de seconde chance pour s'envoyer en l'air. Enfin, si il avait vraiment voulu de moi ce mec aurait répondu à mon texto.

Du coup je vais lui parler ou pas ? Affreux dilemme. J'ai pas à réfléchir bien longtemps, le vieux qui se colle à moi m'aide vachement à prendre une décision.

-Hey salut.

Je lui baisse sa capuche et il prend soudain conscience de ma présence, même si il fixe toujours son téléphone.

- Pourquoi t'as pas répondu à mon message ?, je fronce les sourcils.

Joli-cœur daigne enfin me regarder. Je suis soulagée, mon pouvoir d'invisibilité n'a finalement jamais existé autre par que dans mon cerveau.

-Oublié, il grogne.

Ouais bien sûr, j'espère qu'il s'imagine pas que je le crois. En plus, s'il ne me répond que part onomatopées ça va pas le faire longtemps. Aujourd'hui tout le monde a décidé d'être con ou quoi !

-Tu me fais la tête ?, je lance.

-Mais naaan, il me fixe.

J'y crois pas, il me fait la gueule ! Je lève les yeux au ciel.

-Attends tu m'a viré comme une merde de ton appart' et je devrais rien dire !

Il boude. Je me retiens de rire, vraiment. Cette situation est ridicule.

- Mais c'est toi qui m'a refilé ton numéro putain !, je râle tellement ce mec est paradoxal.

- Jussieu. Jussieu. Attention à la marche en descendant du train.

Je soupire puis sort du wagon et me dirige vers la ligne 7. Foutu changement. Le jour où toutes les lignes seront directes le monde sera vraiment en paix.

J'ai à peine fait deux pas que je remarque Joli-cœur derrière.

- Tu me suis ou quoi ? Je raille.

Il sourit en coin.

- Arrête de prendre la grosse tête, t'es pas la seule à habiter dans le 13ème.

Aïe. Ma fierté a mal. J'avais pas envisagé cette possibilité. S'en suit un silence. Contre toute attente il n'est pas du tout embarrassant. Plutôt reposant, je dirais même.

-Sinon tu faisait quoi là-bas ?, il lance.

- J'étais en cours et to...

Il écarquille les yeux.

- Eh calmes toi j'suis en dernière année de master, un truc de lettres.

Il paraît hyper soulagé. Ça me fait sourire. C'est drôle, je commence vraiment à apprécier ce type. Sauf quand il joue au con car là il est imbuvable.

-Sorbonne ?

Je hoche la tête.

- Au fait je sais même pas comment tu t'appelles, je m'exclame.

-Mensonge ! Je te l'ai dis mais tu m'a pas écouté, il rit.

- J'étais bourrée ça compte pas, je tente de me défendre.

- Place d'Italie. Attention à la marche en descendant du train.

Je m'apprête à sortir mais il me retient par le bras.

- Antoine. Mon prénom c'est Antoine, il lance en affichant un putain de sourire.

J'ai envie de l'embrasser là, maintenant. Mais non, alors je lui fais un clin d'œil. C'est ici que nos chemins se séparent.

Bécane - LomepalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant