Je respire un grand coup. Ça fait un petit bout de temps que j'erre dans le quartier Latin. Lassée d'être sans but, je me dirige vers le jardin du Luxembourg. Au moins je pourrais poser mon cul quelque part. Enfin, si des chaises se libèrent, ce qui est peu probable. Je souffle pour la énième fois de la journée. Vie de merde.
J'ai eu pas mal le temps de méditer. En réfléchissant je me suis rendue compte qu'Abi n'avait pas totalement tord, faut que j'arrête de faire comme si mon frère était déjà mort. Faut que je me décide à aller le voir. Du moins, un jour.
Mais d'un autre côté elle me gonfle. Elle me fout en rogne. Elle peut vraiment être conne parfois. Elle m'a vachement blessée, j'attendais mieux de la part d'une amie.
Je lève la tête et repère un banc. Pile à l'instant où je me dirige vers la place libre un couple de vieux s'y assoit. Putain. J'espère qu'ils vont crever bientôt ces deux là. Je plisse les yeux et essaie de déterminer leur stade de décomposition. Pas facile. Je me tâte à attendre, ce serait possible qu'ils claquent là maintenant. Après tout, une crise cardiaque ça arrive plus souvent que l'on croit. Et puis merde je continue ma route, y'aura bien une place pour s'assoir autre part.
Je suis perdue dans ma tête. Occupée à shooter dans un cailloux qui n'a rien demandé à personne. C'est mon portable qui me sort de ma torpeur. Je regarde le nom de l'émetteur et je fais demi-tour. C'était pas trop tôt.
***
Je serre les points et toque à la porte. J'ai l'impression que ma colère a redoublé d'intensité. J'en veux à tout et tout le monde. Abi, mon frère, moi. En gros : envie d'envoyer chier la terre entière. J'écume de rage alors j'ai besoin de l'évacuer. Et je connais pas trente-six solutions pour le faire.
- Hey.
C'est Antoine qui m'accueille à la porte.
- Putain la tête que tu tires, il raille.
Je me renfrogne et lui donne un coup. Déjà que je suis à deux doigts de câbler alors si en plus il me sape le moral... Il court à sa perte.
- T'as un skate en trop ?, je demande.
Mon cœur loupe un battement quand son sourire s'élargit. Pas maintenant. Je me reprends.
- C'est pour ça que je devais être seul ?, il pouffe.
Je ris à mon tour. Quel con.
- Chuuut ça c'est pour après, je chuchote.
Bon j'avoue c'est un peu tôt, on s'est déjà quittés ce matin. Mais j'ai pas quinze milles potes.
Joli-cœur s'éclipse un instant et revient avec deux planches. J'en attrape une. J'aime bien la sensation de la tenir entre mes mains. Ça m'avait manqué. Pendant que j'inspecte le skate mon acolyte se prépare. Il prends trois plombes, une vrai gonzesse.
- C'est bon t'as pensé à faire pipi aussi ?
Je me moque de lui mais je suis pas mieux. Je jette un coup d'œil à ses pompes et j'ai un temps d'arrêt.
- Tu marches pas près de moi avec ces merdes aux pieds, je m'esclaffe.
C'est plus fort que moi. Y'a tellement de trous dans sa paire de Vans qu'il me fait pitié. Maintenant je sais quoi lui offrir.
- Te fout pas de ma gueule, il me pousse, tu crois t'es mieux avec tes converses.
Touché. Sauf que mes converses sont juste sales. Bon d'accord, c'est pas beaucoup mieux. Mais c'est sentimental, j'suis liée à ces putains de chaussures.
On arrive dans la rue, les choses sérieuses peuvent commencer. Antoine s'élance. Il fait trop le mec à enchaîner les flips. Ça me fait sourire, va falloir que je calme son ego. Je le rattrape en deux poussées. Ça lui apprendra à peter plus haut que son cul. Mais pour moi c'est pas encore suffisant alors je le double et sors tout mes meilleurs tricks. Prends ça dans la gueule. Je suis trop fière de moi, faut que je redescende après je vais plus me sentir pisser.
- Pas mal gamine mais tu fera jamais mieux que Pal, il lance.
Ça va les chevilles ? Au fond, il m'exaspère. Impossible d'ignorer son air de défis. Alors on sors tout ce qu'on a dans le ventre pendant de longues heures. C'est une compet à deux. Plus le temps passe et plus je me sens bien. Être sur un skate me détend instantanément, c'est fou. J'aurais jamais dû arrêter. Je lève les yeux et remarque que le ciel se tinte d'obscurité.
- J'crois que c'est l'heure de passer à la phase deux, nan ?, lance Antoine.
Je pouffe. Putain ce mec perd jamais le nord. Je lui rend son regard malicieux. Le chemin du retour se fait dans le silence. Mais c'est un silence électrique, chargé de tension.
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Bécane - Lomepal
FanfictionL'histoire de Clémentine Artaud, étudiante de 23 ans, et d'un jeune rappeur, Antoine dit "Lomepal". Et si le skate pouvait briser une vie, mais aussi en reconstruire une ? "Tout allait mieux quand on roulait sur ma Peugeot 103" Un chapitre posté pa...