Non. Faut pas être con pour comprendre que c'est une mauvaise nouvelle. J'aurais dû deviner dès le début : mon père ne monte jamais, il déteste la capitale.
- C'est bien une attitude de meuf ça, te vexe pas : c'était sûr que j'étais meilleur, raille Antoine.
Je relève la tête et mon regard se plonge dans le sien. C'est pas le moment de plaisanter et il le capte, je le vois à la lueur qui passe dans ses yeux.
- Ça va pas ?
Je secoue la tête de gauche à droite. Il s'approche doucement et essuie la seule larme que j'ai laissé échapper. Je ne m'étais même pas rendue compte qu'une goutte lacrymale coulait.
- Faut aller à la Pitié-Salpêtrière vite, je souffle.
En vérité je suis sous le choc, j'arrive même pas à bouger. Tout ces mois passés à quelques rues de mon frère et même pas une fois je lui ai rendu visite. C'est maintenant que j'ai des remords. Je m'amuse alors que lui, il souffre. J'ai pas été présente alors qu'il avait besoin de moi à ses côtés. Je suis qu'une putain d'égoïste.
C'est quand Antoine se lève que je prends conscience que j'étais paralysée. D'un coup je me met à courir comme une folle vers la bouche de métro la plus proche. J'oublie tout. Je laisse mon skate en plan, de toute façon il est baisé.
Une fois dans le wagon je m'autorise à reprendre mon souffle mais je suis perdue. C'est Antoine qui attrape ma main qui me replonge dans la réalité. Sauf que c'est pire, je vais me noyer.
- Et si t'appelle ?, il lance.
Mon portable est toujours serré dans ma main droite. Je hoche la tête et presse le bouton d'appel. Lorsque résonne la tonalité mon cœur se relâche mais il se resserre bien vite quand je suis mise en attente. Putain, cette merde va me rendre folle.
- Ça répond pas, je gémis.
Antoine se contente d'acquiescer en silence, il presse ma main un peu plus fort. Son plâtre me griffe mais à cette instant j'en ai rien à foutre, je suis trop tendue pour faire une remarque. J'ai pas le droit de me plaindre, c'est Calvin qui a besoin d'aide maintenant.
Je perds patience et abandonne. Pourquoi l'accueil des hôpitaux est toujours incompétente ? Je peux pas tenir sans nouvelles alors je tente de joindre mon père seulement je tombe direct sur la messagerie. Je vais m'arracher les cheveux.
- Je reste avec toi, murmure Antoine.
Je le remercie avec un mouvement de tête, j'ai pas le cœur à parler.
Je bouscule tout le monde en sortant du wagon et je grimpe les marches quatre à quatre. Le chemin me paraît beaucoup trop long, les secondes semblent être des heures.
Une fois la porte de l'hôpital franchie, je cours à l'étage sans même passer par le bureau d'accueil. J'ai jamais été très bonne en maths mais si y'a bien un chiffre que je retiendrais encore longtemps, c'est celui de la chambre où repose mon frère : 1518.
Je fonce, Antoine derrière moi, et je me retrouve rapidement face à la porte. Je ne prends même pas le temps de respirer que je pénètre dans la pièce. J'en fais le tour mais rien. Vide. Même pas de lit.
- Il peut pas être partit sans moi, je panique.
Je fais demi-tour et trouve une infirmière alors je lui demande si elle connait Calvin Artaud.
- On l'a transféré en soins palliatifs ce matin. Suivez moi, je vous emmène.
Non. C'est impossible. Il doit rester en soins intensifs, il a pas le droit de s'en aller. Et depuis quand les médecins abandonnent ?
Arrivée devant la seconde chambre, Antoine reste à attendre derrière la porte. J'aurais sûrement apprécié son geste si je mon cerveau n'était pas aussi déconnecté.
Lorsque j'entre, je vois mon père en pleurs mais je l'ignore royalement. La première chose que je fais est de me diriger vers mon frère, après tout je ne l'ai pas revu depuis 6 mois. On était pourtant cul et chemise.
- Calvin.
Je le secoue.
- Calvin ? Calvin, s'il te plait.
Les larmes dévalent et je ne fait même plus rien pour tenter de cacher mes sanglots. J'ai l'ai d'une folle hystérique, à secouer mon frère comme une malade.
- Tu peux pas me laisser ! Calvin reviens ! Je sais que tu m'entends, reviens. Me laisse pas seule je t'en pris. M'abandonne pas.
Ma voix se brise et je m'écroule sur le lit médicalisé. Je suis perdue, j'arrive juste à sentir la main de mon père qui se pose sur mon épaule.
- Chérie, écoute, c'est dur à admettre mais il faut qu'on le débranche. Il n'y a plus rien à faire, son état s'est aggravé ce matin. Il est en mort cérébrale, il ne se réveillera pas.
Non. C'est pas vrai. Mon frère est un bâtant, un casse couille. Il va s'en sortir, je le sais.
J'entends une porte qui s'ouvre. Au vu de la conversation que j'entends il s'agit d'un médecin.
- Chérie c'est le moment il faut lui dire au revoir, m'interpelle la voix de mon père.
Je ne veux pas. Je ne peux pas quitter Calvin alors j'enroule son corps de mes bras. Il a beaucoup maigris. Je plonge ma main dans ses cheveux. Au moins ça, ça n'a pas changé.
- Je t'aime Calvin, je t'aime de tout mon cœur. Réveille toi putain ! T'étais peu être un con des fois mais tu reste le meilleur frère de tous les temps. Je veux que tu continue de me faire chier les matins parce que tes tartines sont trop grillées, que tu me pique de la thune tout les mois. Je t'aime, part pas. Puis plus tard tu me refileras tes gosses quand tu voudras être tranquille et moi je te gueulerai dessus, et puis puis je veux aller à ton mariage et qu'on s'insulte par derrière parce que t'es insupportable. Réveille toi je t'en pris... Je suis désolée de pas être venue, merde me lâche pas maintenant.
Je pleure tellement que j'ai mal partout. Le médecin annonce qu'il va couper les machines alors je préfère sortir. Je fuis, encore une fois.
J'ai l'impression d'être vide, je sais très bien que je peux pas vivre sans mon petit frère. Après tout, j'étais sensée le protéger.
Je m'écroule au sol lorsque je referme la porte derrière moi.
-Hey qu'est ce qui va mal ? lance Joli-cœur.
Il me relève la tête et me caresse le visage - comme il peut - avec ses pouces. Je pensais même pas qu'il allait rester tout ce temps. Je le fixe dans les yeux.
- Calvin est mort d'une chute de skate Antoine, c'était mon frère.
En disant ça je le ménage pas. J'arrive à capter la panique dans son regard, je crois qu'il savait même pas que j'avais un frère. J'ai tellement mal.
Je sais qu'à cet instant quelque chose se brise en moi, et j'ai bien peur que ce soit pour toujours.
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Bécane - Lomepal
FanfictionL'histoire de Clémentine Artaud, étudiante de 23 ans, et d'un jeune rappeur, Antoine dit "Lomepal". Et si le skate pouvait briser une vie, mais aussi en reconstruire une ? "Tout allait mieux quand on roulait sur ma Peugeot 103" Un chapitre posté pa...