-Tourne à droite, je souffle.
Aller, plus que quelques mètres à parcourir et cette torture prendra fin. C'est pas qu'être portée me dérange, j'aime plutôt bien d'ailleurs. Ce qui me fait flipper c'est qu'on manque de se casser la gueule toutes les trois minutes.
-C'est la porte bleue ?
Pour toute réponse je laisse échapper un « oui » à peine audible. Sauf que devant le mutisme de Joli-cœur, je sais pas s'il m'a entendue. Vu qu'il ne ralentit pas, je répète encore que c'est l'entrée de mon immeuble.
C'est tellement chiant d'articuler avec la bouche pâteuse. Je pensais que l'air dehors allait me faire du bien, mais à la place c'est tout l'inverse qui se produit.
-C'est bon princesse, on est arrivés.
Le type me repose au sol et à cet instant j'ai mal partout. Il me faut bien deux minutes pour que le monde autour de moi cesse de tanguer. Lentement je me dirige vers la porte. Je dépose ma main à plat dessus, c'est beau le bleu.
Derrière, j'entends Joli-cœur qui enchaîne les tricks. Je reste en place un long moment puis je me tourne enfin pour taper le digicode. J'essaie une fois, puis deux, puis trois. Puis..
-Putain de merde ! fait chier !, je m'énerve.
Entendre le bruit des roues sur le sol m'agace encore plus. Fallait forcément que ce genre de chose arrive en pleine nuit, obligé. Putain.
-Alors on sèche ?, le mec rit.
Je serre les dents. Si il trouve ça drôle tant mieux pour lui mais moi j'ai d'autres plans que de dormir à la belle étoile. Surtout que les étoiles c'est pas trop ça, à Paris.
Je m'acharne encore et encore sur la machine, mais à chaque fois le mot erreur ne cesse d'apparaître. Impossible de déverrouiller la porte. Vous savez le code censé empêcher toute personne extérieure de rentrer, eh bah ça fonctionne putain de bien. TROP bien.
Pas le choix, va falloir que je sonne chez la voisine. Il est pas loin de 4 heures du mat', elle va littéralement me trucider. Aïe.
En tâtonnant, j'arrive à trouver le bouton de l'interphone. Avant d'appuyer je marque un temps d'arrêt.
- C'est mieux si c'est toi qui parle, je lance.
-Hein ?!, il s'esclaffe, elle va jamais me laisser entrer ta vieille, là.
Je hausse les épaules, de toute façon on a pas trente-six mille solutions. On va quand même pas passer toute notre nuit ici.
Je finis par lui faire les gros yeux alors il obtempère. Joli-cœur affiche une moue boudeuse mais je m'en fout. Après tout, c'est moi qui ai gagné ce défi là.
Mon cœur bat à 110 à l'heure quand j'entends le "bip" signifiant que quelqu'un décroche.
-Bonjour madame euh, il me lance un regard affolé à la dérobée.
J'ai envie de me taper la tête contre le mur, ce gamin n'est pas doué et à cause de lui je vais jamais remettre un pied chez moi. On aurait dû vérifier avant à qui on s'adressait.
Pendant que Joli-cœur gagne du temps en parlant de je-ne-sais-quoi à cette pauvre dame, je tente de déchiffrer le nom de notre correspondante sur le tableau. Putain, j'aurais pas pu m'intéresser à mes voisins plus tôt que là maintenant ? J'suis même pas capable d'avoir retenu leurs putains de noms alors que ça fait des années que j'habite ici. Je promets de dire bonjour à tous les gens que je croise sur le palier dès demain.
Au bout d'une éternité, le nez presque collé au mur, j'arrive enfin à lire. Je tourne la tête et j'essaie de dire au mec que la charmante voisine s'appelle "Martin". Le plan originel était de chuchoter, mais ça c'était sans compter le fait que je suis complètement bourrée.
Du coup c'est un horrible "Madameuh Martiiin" qui sort et je ris comme une gamine. Le type plaque une main sur ma bouche pour que je fasse moins de bruit. Lui, il se mord la lèvre pour ne pas céder et ça fait redoubler mon hilarité.
-Clémentine ? C'est vous ? lâche la charmante madame visiblement ravie d'avoir été réveillée par deux alcoolos.
D'où elle sait comment je m'appelle et d'où elle connaît ma voix ?
-Ouiiiii c'est moi, donc on a plus le code parce que, parce que, et là faut absolument nous ouvrir. Fait froid.
Mon camarade n'en peut plus de se retenir et je l'entend rire à gorge déployée. Putain. On transpire l'alcool, même à travers un interphone.
-Chuuuut, je fais avec mon doigt sur la bouche.
En réalité j'en peux plus de me contenir aussi alors je cède et rigole comme une folle.
-C'est bon la porte s'ouvre, aller viens, merci madame et désolé du dérangement, Joli-cœur répond.
Le mec me tire par le bras et on s'engouffre en silence dans le bâtiment. C'est à ce moment que je regrette de ne pas avoir d'ascenseur. Pourtant à l'époque c'était précisément pour cette raison que j'ai emménagé. Vous comprenez "nan mais les ascenseurs ça fait du bruit et c'est dangereux et ça peut rester bloqué et bla bla bla". Mon cul oui !
-J'suis vraiment trop conne.
Je m'arrête et tourne le regard vers toutes les marches qu'il nous reste à gravir. S'il ne me restait pas encore un semblant de dignité j'aurais proposé qu'on dorme ici, sur le sol. C'est pas le luxe mais c'est toujours mieux que de monter cet escalier de merde.
-J'suis vraiment trop con aussi, souffle Joli-cœur.
On se fixe un moment sans rien dire. Yeux dans les yeux. J'ai l'impression que ce mec me nargue en me montrant exprès ces petites dents. En plus il passe sa langue dessus, mais ça il doit le faire inconsciemment.
D'un coup il éternue et ça fait éclater notre bulle. L'atmosphère se détend et on est à nouveau prit tous les deux d'un fou-rire.
-Ça t'arrive souvent ce genre de truc ?, j'arrive à articuler.
-Jamais, j'te jure !, il rit.
On reprend notre ascension et le long périple pour atteindre mon appart au 3ème s'achève enfin.
- T'as les clés au moins j'espère, raille mon compagnon de fortune.
Je lui assène un vilain coup de coude dans les côtes. Je ris encore pendant que ce gamin se plain, il l'a bien cherché. Et après tout j'aurais pu faire pire, j'ai pas visé les couilles.
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Bécane - Lomepal
FanficL'histoire de Clémentine Artaud, étudiante de 23 ans, et d'un jeune rappeur, Antoine dit "Lomepal". Et si le skate pouvait briser une vie, mais aussi en reconstruire une ? "Tout allait mieux quand on roulait sur ma Peugeot 103" Un chapitre posté pa...