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Étalée sur la plage, je fixe le ciel. Il est rempli d'étoiles, c'est magnifique. Contrairement à Paris, ici il n'y a pas de pollution lumineuse alors on distingue parfaitement le firmament.

On est arrivé hier à Montréal, le vol a été super long. Une fois l'avion atterrit on a pas fait grand chose de la journée, à part s'installer dans l'appartement où on loge. Il est plutôt sympa d'ailleurs : assez grand et vachement éclairé.

- J'aime bien System Of A Down aussi.

Antoine pointe mon pull à l'effigie du groupe. Je souris, c'est la première fois qu'il m'avoue aimer un truc que j'écoute. Au fond je suis fière.

- Fait tourner, je lance.

Je me redresse et tend la main alors Joli-cœur me passe son joint. Je tire une taffe, j'ai juste besoin d'oublier un peu.

- Tu crois qu'il est là haut ?

Antoine tourne la tête vers moi.

- Qui ça ? Ton frère ?, il demande.

J'acquiesce et il hausse les épaules.

- J'aimerais te dire que oui, qu'il est toujours là, qu'il te surveille mais ça serait des conneries, il répond.

Je serre la mâchoire, il n'a pas entièrement tord mais c'est douloureux de l'entendre.

- Il s'appelait comment ?

Je respire un grand coup.

- Calvin.

Maintenant c'est devenu dur de dire son prénom. Je déteste ça.

- Calvin Artaud, il murmure.

Ça me fait mal quand Antoine le prononce. J'ai envie qu'il arrête mais en même temps je ne peux pas le forcer à se taire.

J'observe mon spliff, il s'est consumé beaucoup trop vite à mon goût. J'espère que les gars en ont d'autres. Comme souvent la réponse est oui, c'est d'ailleurs Yassine qui me roule le suivant. J'ai toujours la flemme de les préparer moi même, je trouve que c'est chiant.

- C'est pas bon pour toi, la fumette.

Je fusille Antoine du regard, il se fout de ma gueule. En plus, c'est le premier à crier "roule une grosse saucisse d'herbe" à tout bout de champs. Faut pas pousser mamie dans la beuh, merde.

Je ferme les yeux et écoute le bruit des vagues. Je déteste ce son, il me déprime. Plus généralement, la mer en général me fout le seum. Ça a toujours été comme ça, je sais pas vraiment pourquoi. Peut être que ça a un lien avec ma mère.

La défonce c'est cool mais là si je commence à ressasser les souvenirs que j'ai de ma génitrice c'est que je plane vraiment à quinze-mille.

- Antoine j'ai raté ma vie...

Il commence à se marrer mais je suis sérieuse. J'ai vraiment foutu en l'air mon avenir.

- J'pourrai jamais rattraper tous les cours de la fac.

Je ravale un sanglot, jamais je n'aurais crû que la Sorbonne me manquerai autant. Ça fait plus d'un mois que je n'y suis pas retourné et j'ai mes partiels qui approchent. Sans parler de mon mémoire que je dois rendre, il est même pas fini. C'est mort, j'obtiendrai pas mon diplôme. Je le sais pertinemment.

Mais j'ai besoin de retrouver une routine. Espérer au moins pouvoir agir avec un semblant de normalité. Une vie banale, en somme.

Vivre. Sans l'ombre de la mort qui plane au dessus de ma tête. Sans l'ombre de Calvin, omniprésent dans mes pensées.

D'un coup je suis prise d'un fou-rire. C'est mieux. Ouais, je préfère être dix mètres en hauteur plutôt que six pieds sous-terre. Même si ça implique de ne plus jamais pouvoir atterrir.

Je sais pas où est passée l'équipe Paz mais ils ont sûrement dû se barrer au loin parce que je ne discerne plus aucuns bruits. La seule chose que je perçois est la respiration d'Antoine, toujours à côté de moi. Je crois que lui aussi est pas mal allumé ce soir.

La plage est devenue trop silencieuse. Je plante mes doigts dans le sol et saisi une poignée de sable.

- Antoine ?

Il a à peine le temps de détourner la tête que j'introduis ma main dans son froc et déverse tout le sable dans son caleçon. Il va me tuer.

- Putain Clem !

Rapidement je me lève et cours. En réalité je souris de ma connerie. J'entends vaguement un "tu fais chier" qu'il prononce en se tortillant dans tout les sens puis Joli-cœur s'avance à ma poursuite.

Sauf que je suis vachement essoufflée. Ça fait une éternité que je n'ai pas couru. C'est plus simple d'aller vite quand on roule en skate alors pourquoi s'emmerder à utiliser ses jambes. Sérieusement. En plus, j'ai toujours été nulle en sport.

J'ai à peine fait deux mètres qu'Antoine me rattrape et se jette sur moi. Putain. Il a beau être tout fin et grand, j'aurais jamais crû que ce con puisse être aussi lourd. Trop vite je finis à même le sol, écrasée par Joli-coeur qui s'allonge sur moi.

- On la ramène plus là !

Il prend un poignée de sable et l'amène en direction de ma bouche, à cet instant je devrai flipper. Sauf que c'est pas ce que je ressens.

Il est beau, c'est la seule pensée cohérente qui vient à mon esprit. Ses yeux, sa bouche, sa barbe mal fournie. J'aime absolument tout.

Je sais que lui pense la même chose, sinon il ne me regarderait pas de cette manière. On se fixe en silence. C'est comme si le temps s'était arrêté, comme s'il nous offrait un moment de répit. Rien qu'à nous.

Au dernier moment Antoine se ravise et repose le sable. À la place, il caresse doucement mes lèvres pendant que je joue avec sa chaîne.

Il n'y a plus que nous deux alors il s'avance lentement vers moi. Mes lèvres s'entrouvrent d'elles mêmes, ma bouche déjà prête à accueillir sa langue.

Je soupire de soulagement, y'a une alchimie entre nous.

Putain, ça m'avait tellement manqué. Pas juste le sexe, non, mais lui tout en entier.

Bécane - LomepalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant