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Une semaine est passée depuis que je suis partie de chez Antoine. Enfin de chez Antoine, Yassine et sa mère. Je souris à ce souvenir. J'en reviens toujours pas. En fait je crois que je vais jamais m'en remettre, ça ressemble tellement à un vieux film comique tout raté. Ou à un mauvais porno.

Durant ces sept jours je n'ai parlé à quasiment personne. D'abords j'ai soigneusement évité Abi - chose qui s'est révélée plus simple que prévue - puis j'ai méchamment ignoré les messages d'Antoine. On est potes, je tiens pas à ce qu'on couche ensemble tous les soirs.

En résumé j'ai juste passé un coup de fil à mon père et j'ai échangé deux trois textos avec Deen. C'est avec lui que j'ai le plus accroché même si je trouve qu'Eff et Yassine sont plutôt cool. Il a juste un côté bon délire que j'adore.

Mon exil m'a permis de mettre au point pas mal de trucs. Notamment j'ai pas mal réfléchi à l'incident "voiture". Ce jour là j'ai pris une bonne heure avant de me calmer. J'ai sangloté une sacrée partie de la nuit alors j'ai renoncé à aller en cours. Personne ne m'a posé de questions et c'est tant mieux.

Après avoir encaissé le choc, je m'en suis beaucoup voulue. J'aurais dû faire plus attention, après tout il faisait nuit. Avec le recul, je me suis vraiment sentie conne. J'aurais pas supporté que mon père souffre à cause de moi. Résultat les remords me mordent l'âme.

Enfin, on peut pas changer le passé. J'ai une boule au ventre à cette idée. Je n'ai pas sombré dans la dépression après ce qui est arrivé à mon frère. Il n'empêche, je me sens chaque jour coupable. Dans un coin de ma tête, je me rappelle toujours que ce soir là j'aurais pu le stopper. C'était dans mon devoir de grande-sœur. "Grande" même si on a que 9 mois d'écarts. Et ouais, à croire que nos parents étaient vachement pressés.

J'ai longtemps cru que je n'avais pas de cœur, que j'étais un monstre insensible. J'ai longtemps été torturée par ça. À force, j'étais triste de ne pas être triste. On est tous d'accord pour dire que c'est un cercle vicieux ridicule. Mais bon j'y pouvais rien. Et puis récemment j'ai rencontré un psy exceptionnel. Il m'a clairement fait comprendre que ce n'était pas parce que je ne montrais aucuns sentiments que j'en étais dépourvue. Bien au contraire. Je souffrais tellement que je me voilais la face, allant jusqu'à ignorer ma peine.

En somme, on fait avec. Pas le choix, les cartes sont déjà tirées.

C'est un message de Deen qui me tire de mon introspection. Il m'invite à une soirée chez lui, ce soir. Putain je vais devoir prendre le RER pour allez à Aubervilliers. Ça me fait vraiment chier. Je me prépare mentalement à affronter l'heure de trajet. J'espère qu'aucun con n'oubliera son sac, histoire d'ambiancer le wagon avec un énième colis suspect. Ou pire, qu'il y est un mec qui se jette sous la rame et qu'on soit immobilisés. Ça me gonfle déjà. J'entends d'ici la voix annoncer "suite à un colis suspect sur la ligne la station ne sera pas desservie. Veuillez nous excusez pour la gêne occasionnée, merci de votre attention". Je déteste.

Mais l'invitation de Deen me touche. Je suis contente que quelqu'un dans cette ville de merde pense à moi. Ça va me faire du bien de voir du monde ailleurs qu'à la fac. Finit la semaine solitaire. J'avoue ça peut avoir quelques avantages. Au final, ça reste surtout chiant. C'est un peu comme Koh-Lanta : on le fait qu'une fois. Bouffer que du riz c'est cool au début puis on se lasse.

Je me demande qui y'aura d'autre. Je pense que beaucoup de gens que je connais pas seront là. Ça me fait ni chaud ni froid, j'ai confiance en Deen pour me sortir de la merde si jamais je finis embourbée.

Pendant une seconde je me tâte : et si je demandais à Abi de venir ? Mais en fait non parce que je lui fais encore la gueule et je sais que elle aussi. Si c'est pour passer la soirée à se lancer des piques, autant s'abstenir. C'est vrai qu'en ce moment elle me sort particulièrement par les trous de nez.

Je me dépêche de rentrer chez moi pour me préparer. J'ai pas énormément de temps devant moi, sachant que je mets 20 ans à m'apprêter. Enfin, je prends du temps sous la douche parce qu'on peut pas dire que je fais des efforts côté vestimentaire.

En marchant, je souris : un détail change tout. Je dois sûrement faire peur aux gosses, j'ai l'air d'une tarée. Mais ce soir commence ma semaine de "vacances scolaires". En gros c'est synonyme de "tu peux y aller, t'as pas d'obligation demain". Je m'avance déterminée, prête à redéfinir la plus grosse beuverie du siècle.

Bécane - LomepalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant