Bécane - Lomepal

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- Mais arrêtez, je râle.

Les potes de Deen me font chier. La soirée s'annonçait pas mal mais ça c'était avant qu'ils ne se mettent à me charrier. Seulement je crois qu'ils sont pas près d'arrêter, je suis devenue leur cible préférée. Bon j'avoue ça me fait un peu rire. J'admets qu'il y a de quoi se foutre de ma gueule, mais quand même.

- Attends remet la une dernière fois, demande le dénommé Doum's.

Deen s'exécute, il appuie sur le bouton qui démarre la vidéo. Enculé. Je fais la moue, je suis trahie par mon allié. Au moment fatidique tout le monde explose de rire. Je retiens un sourire, j'ai trop de fierté pour accepter l'humiliation.

Je ne sais même pas comment il se sont débrouillés pour retrouver ça sur YouTube. J'étais persuadée qu'Abi l'avait suprimée. Visiblement j'ai tords. Je dois reconnaître que c'est un bon gros dossier bien comme il faut. Le genre à mourrir de rire. Dessus, on me voit en train d'essayer d'escalader un mouton à plusieurs reprises. Jusque là rien de trop grave. Sauf que vu que je suis sacrément éméchée j'échoue à chaque fois et finis sur le sol. En prime je m'obstine à lui parler, je l'appelle Miguel, et j'affirme dur comme fer que cet animal est une vache. Très glorieux.

- Laissez la tranquille. On a des trucs pires sur vous, lance Jehkyl en roulant des yeux.

Merci. Un peu de soutien ne fait pas de mal à ma dignité. Peut être qu'on réussira à la sauver. Ce mec est ultra cool, autant que Deen. À croire que c'est de famille. Je lui lance un sourire de gratitude. Enfin, j'espère qu'il perçoit ma grimace de cette manière.

Je me lève du canapé et va me remplir un autre verre. Contrairement au plan initial j'y vais plutôt doucement avec l'alcool. En tout cas, pour l'instant. J'ai pas spécialement envie de boire ce soir. Je contourne une table pour aller sur le balcon. Au passage je frôle Antoine qui m'ignore royalement depuis le début. Il est vexé. Je peux pas trop lui en vouloir, après tout je l'ai un peu cherché.

L'air frais me fait du bien. Je commençais à avoir un peu la tête qui tourne. Je suspecte les joints de Doum's d'y être pour quelque chose. Il doit vachement les charger.

Au bout de quelque minutes Deen me rejoint.

- Alors pas trop traumatisée, il demande.

Je ris et hoche la tête. Ça va je supporte. Mais c'est vrai que ses potes sont sacrément bruyants. Ça peut être un peu intimidant au début mais j'ai dépassé ce stade. Maintenant je me sens plutôt à l'aise.

- Et sinon ça va mieux depuis l'autre soir ?

Je hausse les épaules. Forcément après ma crise j'avais besoin d'évacuer. Vu que je suis fâchée avec Abi, c'est à Deen que j'en ai parlé. Il m'a beaucoup soutenue. En fait on dirais pas mais il a vachement de sagesse. On va dire que c'est un bienfait de la trentaine. Papy commence à se faire vieux.

- Bof, j'ai pensé à pas mal de trucs, je réponds.

D'un haussement de sourcil il m'indique de développer. J'avoue que j'en ai pas tellement envie. Je suis trop lucide, là. J'essaie d'ignorer la boule dans ma gorge.

- J'ai pensé au jour où c'est arrivé et depuis ça tourne en boucle dans la tête. C'est fatiguant, je souffle.

J'essaie d'ignorer que ma voix s'est brisée à la fin de ma phrase. Seulement, Deen l'a bien perçu.

- Avant tout ce serait pt'être bien que tu racontes ce qu'il s'est passé. Tu crois pas ?, il questionne.

J'inspire. Il a raison. Trop raison. Je ferme les yeux et m'apprête à revivre ce moment. J'ai l'impression que c'est la centième fois cette semaine. Mon ami m'encourage silencieusement.

- C'était un soir, on avait une fête. Y'a six mois, je fais une pause. On était pas mal bourrés. À un moment il a voulu sortir skater alors je l'ai suivi. Il était tellement défoncé, il faisait attention à rien. Il a glissé de sa planche. La voiture n'a pas vu qu'il y avait quelqu'un à terre. Elle a fauché mon frère. C'était sur un passage piéton, vers République.

Ça y est c'est sorti. Je retiens plus mes larmes. De toute manière je suis à bout de forces, inutile de lutter.

- Viens là, Deen me prends dans ses bras.

Son étreinte me rassure. Résultat, je suis prise d'un fou rire nerveux.

- Trauma crânien, il est encore dans le coma. Je le dis pas souvent mais j'ai peur pour mon frère. Je sais pas si je préfère qu'il meurt, pour abréger ses souffrances, ou bien qu'il se réveille. Mais je me voile pas la face, si il survit ce sera un légume.

Je laisse éclater de gros sanglots. Tant pis pour le masque. Deen me serre encore plus fort contre lui.

- J'aimerais tellement pouvoir te dire que ça va s'arranger, il lance.

C'est pas grave. J'aime le fait qu'il ne me donne pas de faux-espoirs.

- Et maintenant Antoine me fais la gueule, je soupire. Ça fait beaucoup.

- T'inquiète il comprendra, il est pas aussi con qu'il en à l'air.

Je souris, c'est vrai. D'ailleurs je vois l'intéressé qui nous fixe de l'autre côté de la vitre. Je fronce les sourcils quand je remarque son regard noir. Je respire un grand coup et je me détache de Deen. J'essuie mes larmes d'un revers de la main.

Il est temps d'affronter l'autre tempête. D'ailleurs, je suis pas sûre que je préfère celle-là.