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J'essuie discrètement les larmes de mes yeux et sors du vieux bâtiment. Putain, je déteste aller chez le psy.

En toute honnêteté ça fait plus d'un mois que j'y vais et, à part gâcher mon temps, les séances ne me font rien. Le seul point positif c'est que ça m'oblige à sortir de mon appart.

Mais chaque séance est encore plus difficile que la précédente.

Je m'étais voilée la face pendant le coma de mon frère. Là, je me prends la réalité en plein dans la gueule et c'est douloureux. J'arrive pas à faire mon deuil. J'essaie de me rassurer en me rappelant que ça ne fait que un mois que Calvin est parti pour de bon.

Un mois que je suis une coquille vide. Une coquille vide qui se bourre d'antidépresseurs.

J'ai plus goût à rien, je sors presque plus. Je sais que je fais du mal aux gars et je m'en veux, mais ces derniers temps ça me passe au dessus.

Même Deen n'a pas réussi à me faire avancer, pourtant il essaie. Il fait tout pour me changer les idées. Souvent, il débarque à l'improviste avec de la bouffe et un bon film mais une fois sur deux un détail anodin me fait replonger. Alors je pleure. D'autres fois il arrive à me faire esquisser un sourire l'espace d'un instant. C'est même déjà arrivé qu'il me fasse rire, sauf que le plus souvent ces fois là j'étais défoncée.

Je sais que la personne que je blesse le plus est sûrement Antoine. Tout simplement parce qu'il était là quand j'ai câblé, ce fameux jour à l'hôpital. Il m'a vu dix-mille pieds sous Terre mais moi je m'obstine à mettre de la distance entre nous. Peut être que c'est dû au fait qu'il m'ai vu quand j'étais le plus vulnérable, je sais pas trop. En tout cas, les rares fois où je le laisse m'approcher c'est quand je m'enfume la gueule et que j'ai besoin de baiser ou alors que j'ai trop bu.

Je sais très bien que c'est pas correct de tenir les mecs à l'écart mais c'est ma façon d'assurer mes arrières, de me protéger. Auto-défense. Je me suis vachement renfermée sur moi même, on en parle souvent avec mon thérapeute.

Pour le reste c'est tout aussi compliqué, alors on tient le coup comme on peu.

Mon père est reparti dans la maison familiale, c'est tellement dur pour lui, il vient de perdre son enfant. Personne ne devrait endurer ça. Il arrive qu'on s'appelle - lui et moi - mais ces instants sont courts : aucun de nous n'a l'habitude de livrer ses sentiments.

Le jour de la mort de mon frère, j'ai reçu un message d'Abi. Au début j'ai vu rouge puis petit à petit je me suis détendue. Ça ne pouvait pas me faire de mal qu'elle présente ses condoléances. Suite à cela on s'est revus quelques fois, on peut dire que notre relation s'est améliorée, après tout on se reparle. Mais notre complicité d'antan a disparu.

Mais je sais que ma plus grosse connerie est de me laisser aller. Ouais, j'ai tout lâché : la fac, mon mémoire. Je me doute bien que dans le futur je vais probablement regretter ma décision, mais ça j'aurai tout le temps de m'en vouloir plus tard.

À présent je suis lessivée, à bout de force. Je peux plus entreprendre un truc. Je suis en train de mourrir de l'intérieur.

Putain, j'ai toujours su que je ne pouvais pas vivre sans mon frère.

Je presse le pas quand je remarque le ciel gris. Super, c'est comme si Paris avait décidé de s'accorder avec mon humeur maussade. Encore une journée de merde. Le point positif c'est que le cabinet du psy se trouve à une dizaine de minutes à pieds seulement de chez moi. Comme ça, ça m'évite de passer pour une folle dans le métro avec mes yeux rougis et boursouflés.

J'entre enfin dans mon appart et me laisse choir sur le canapé. J'ai faim mais pas la détermination de me lever alors j'attends que le temps passe. Alors que je somnolais, on toque à la porte. Franchement si c'est Deen je l'envoie chier, j'ai clairement pas le cœur aux visites ce soir.

Sauf que je me suis trompée, c'est pas Papy que je vois lorsque j'ouvre.

- Hey, lance Joli-cœur.

J'ai pas envie qu'il soit là, alors j'essaie de refermer brutalement la porte mais ce con s'interpose et dépasse le palier.

- Tu me saoule quand t'es comme ça, râle Antoine.

Ouais et moi je veux être seule. Sans personne pour me faire chier. Y'a moyen qu'on s'entende.

- Prépare ta valise on s'en va.

Il ressort de l'appart en claquant la porte. J'aime pas le ton qu'il a employé, mais bizarrement je sens que j'ai pas d'autre choix que de lui obéir alors je vais dans ma chambre et commence à rassembler mes affaires.

Je souffle, c'est la dernière fois que je cède à un ordre. Surtout venant de lui.

Bécane - LomepalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant