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- Excusez moi, je peux passer ?

C'est la voix la plus douce que j'ai entendu de ma vie. Je me décale et l'infirmière pénètre dans la chambre.

Au moment où la porte s'entrouvre j'ai le réflexe de fermer les yeux. Putain, c'est idiot. Je ne suis plus une gamine. Je souffle pour tenter de m'apaiser mais c'est inutile. Le bip incessant du moniteur cardiaque est loin de me rassurer. Je sens une sueur froide couler dans mon dos. Faut que je me ressaisisse.

J'ouvre enfin mes paupières mais je fixe le sol. J'ai jamais été aussi lâche, ça ne me ressemble pas du tout. Je serre les poings, c'est pas le moment de flancher.

Je relève la tête mais évite soigneusement de regarder le corps allongé dans le lit. Pour gagner du temps, je détaille la pièce attentivement.

La couleur jaune du mur est tellement degueulasse. Je grimace. Ça m'étonne pas que les gens crèvent face à une déco pareille. À la vue de tous les tuyaux mon cœur se serre. La perfusion. Les drains. L'assistance respiratoire. Les cathéters.

Mon cœur s'emballe toujours plus. C'en est trop. C'est de ma faute. Je retiens mes larmes et fait demi-tour, sans même avoir regardé le visage de mon frère.

Je cours presque dans le couloir, pressée d'en finir. Je respire un grand coup. Arrivée dans le hall d'entrée, j'aperçois Antoine. C'est mignon, il m'attend sagement. Contre toute attente j'arrive à me calmer et faire comme s'il ne c'était rien passé. Je suis pathétique.

- Alors verdict, je demande.

Il lève les poignets : un dans le plâtre, l'autre dans une attèle. Il a pas l'air con comme ça. J'explose de rire, mais c'est plutôt dû au stress.

- Le gauche a juste une entorse. Par contre le scaphoïde est cassé à la main droite, il répond.

J'ai l'impression de le récupérer en pièces détachées. Genre meuble Ikea, à monter soi même. Joli-cœur me lance un regard l'air de dire "tu vois j'avais raison, j'me suis bien pété un truc". Je souris. Il a vraiment un ego à la con. Je secoue la tête, il va commencer à m'énerver.

Il s'approche lentement de moi.

- C'est triste je vais plus pouvoir te ploter les seins pendant deux mois, il susurre.

Pervers. Je lève les yeux au ciel avant de le fusiller du regard. Je crois qu'il a trop vite oublié la baffe de tout à l'heure. Un petit rappel ne lui ferait pas de mal. Mais je m'abstiens, après tout ça me fait sourire aussi. On est crevés, au beau milieu de la nuit et lui ne pense qu'à ça. Merde, il est sacrément atteint.

- Arrête de dire des conneries. Viens on rentre, je lance.

Il hausse un sourcil.

- Chez toi ?, il demande.

Putain, je vais vraiment m'inquiéter. Il s'est transformé en obsédé sexuel en une semaine ou bien il l'était déjà avant ? Si ça se trouve c'est moi qui n'ai rien vu.

- Chacun chez SOI, je réponds.

Antoine laisse échapper un grognement désapprobateur. Me dites pas qu'il va se fâcher ! Je retiens mon sourire, c'est un cas désespéré.

Je presse le pas, ravie de sortir de l'hôpital. J'en ai marre des gosses qui chialent et des vieux qui puent. Je me demande lequel des deux je déteste le moins. Au fond, je suis peut être un peu asociale.

Je marche en silence et ma tête se vide. Ça me fais énormément de bien. J'ai l'impression d'avoir passé une journée de dingue et d'avoir ressenti mille émotions contradictoires. Un enfer. Antoine marche avec moi mais à un moment nos routes doivent se séparer. J'ai un pincement au cœur, au fond j'ai bien envie qu'il reste.

- Bonne nuit, il lance.

Je lui souris, le sien s'élargit en retour.

- Fait attention à toi robocop.

Il me donne un coup. Putain ça fait mal un plâtre. Je lui rends son skate que j'avais presque oublié. Il galère et le tient comme il peut. Ça me fait rire. Un dernier sourire et je reprends ma route.

Après un quart d'heure j'arrive chez moi. Je pousse un soupir, soulagée de ne pas habiter loin de l'hôpital. Je sors ma valise en vitesse et fourre un peu tout ce que je trouve à l'intérieur. Tant pis si il manque des choses, au pire y'a encore quelques affaires qui m'appartiennent chez mon père.

Après une éternité, je me laisse choir sur mon lit. Enfin. J'ai l'impression que cette journée était interminable. Je réfléchi aux événements. J'aurais dû regarder mon frère, lui parler. Je suis vraiment conne. Mon cerveau tourne à plein régime. Mais pas le temps pour les regrets. Doucement, je sombre dans un lourd sommeil.

Bécane - LomepalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant