La lumière noire éclaire la pièce de ces nuances bleues caractéristiques, sans pour autant emplir l'espace chichement meublé dans lequel les ombres inquiétantes s'allongent. C'est à peine si on distingue les deux armoires délabrées, l'évier et sa croûte de calcaire, une table bancale, le duvet blond du crâne du tatoueur, son fauteuil et moi en train d'attendre que l'ouvrage soit terminé.
Fasciné, je scrute l'aiguille tracer le dessin phosphorescent sous la peau de mon ventre. Heureux de pouvoir enfin graver mon premier trophée et impatient d'en avoir plus à arborer, pour effacer ce passé que j'ai du mal à assumer.
— T'es vraiment taré, Kale. Tu peux toujours changer d'avis, commente Vince, rompant le silence qui n'était ponctué jusque-là que du bruit de sa bécane.
— Tu comptes encore me le dire combien de fois, putain ? Si tu veux pas me faire la marque, j'irai ailleurs.
— Aucun autre tatoueur serait assez con pour tatouer des marques de clans qui ne sont pas le sien. Sauf la clef. Bien sûr.
Je soupire d'exaspération.
— Sérieux, insiste-t-il, je peux encore changer, laisse-moi te dessiner un gros truc qui irait de ton épaule à ta cuisse, une belle pièce. Ça fait longtemps que j'ai une idée en tête.
— Non, fais-moi ce satané épi qu'on en finisse.
— Je dis ça pour toi. Moi ça m'arrange, entre ce que tu me files pour les tatouages et ce que tu vas dépenser en crème pour le dissimuler, je suis refait, sourit Vince.
— C'est que pour le pognon que tu acceptes ?
— Bah, tu sais, je suis plus en service. Je vis que de la solidarité du clan. Je sors pas trop de ma cave. J'en ai filé des raclées. Mais maintenant c'est fini, donc, ouais, c'est surtout pour le pognon. J'espère vraiment que tu ne regretteras pas. En plus, sans rire, j'arrive pas à croire que comme premier meurtre, ils t'aient collé un des Nourriciers. Sans déconner, ils ont tellement la planque ceux-là et leur symbole est nase.
— C'est justement parce qu'ils savent que personne les emmerde qu'il a fallu intervenir, hein. On a tous besoin d'eux, donc le gars il avait pris la confiance et il s'est mis à gonfler ses prix, puis à faire pression au reste des mecs de son groupe pour qu'ils s'alignent. Ça aurait pu méchamment dégénérer ! Depuis que tous les clans agricoles se sont associés en un seul, ils sont devenus trop puissants. Il a fallu faire un petit rappel à l'ordre.
— C'est toujours une histoire de profit, conclut Vince en terminant le dessin.
Enfin libéré, je me redresse et vais face au miroir. Je suis content de ce que j'y vois, même si je ne me reconnais pas. Mon torse imberbe est musclé à présent. Il me faut faire un vrai effort pour accepter que c'est moi que je scrute. Il y a à peine quelques mois, les stigmates de la drogue étaient encore visibles et j'étais maigre à faire peur. Même le vert de mes yeux ne semble plus aussi éteint. Je suis différent.
La lumière noire éclaire mes tatouages, visibles seulement sous ses rayons, même celui en haut de ma colonne vertébrale qui représente deux épées croisées. C'est celui dont je suis le plus fier. Mon appartenance aux Rédempteurs, comme ce vieux grincheux de Vince.
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Au-delà de l'encre
Science FictionDans la Zone, il n'y a qu'un moyen de survivre, rejoindre un clan et arborer sa marque. Au sein de cette micro-société coupée du reste du monde, la vie est dure et les ressources sont rares, sauf peut-être la drogue. Après des années à n'être qu'une...