Je suis tellement fatigué que je manque tomber dans l'un des trous des escaliers et ce n'est pas Kale qui pourrait me rattraper. Il peine à s'élancer et il retient des exclamations de douleur.
Malgré tout, nous finissons par arriver à son palier. Il tape son code et nous patientons jusqu'à ce que Jun vienne nous ouvrir.
— Je ne m'attendais plus à vous revoir tous les deux !
— Nous non plus ! On a été punis, mais on est pardonnés, réplique Kale.
— Putain ! Mais t'as fait quoi à tes mains ? me demande Jun.
Je suis trop épuisé pour répondre. Pourtant Kale et moi avons inventé un mensonge pour Jun, mais je suis sur les rotules et j'ai simplement envie de m'affaler contre le lit, si tant est que les autres me laissent le prendre.
— Il lui est arrivé une couille dans les égouts, il a entendu des gens et a tenté de sortir ailleurs.
— Ah merde et t'es tombé sur un passage piégé ! C'est pas de chance. Les connards qui ont eu l'idée de foutre des rasoirs sont vraiment des bâtards.
J'acquiesce. Je ne peux pas m'empêcher de culpabiliser de mentir à Jun. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que c'est à cause de la proximité que nous partageons depuis plusieurs jours. Je ressens des trucs que je n'ai jamais éprouvés jusqu'à aujourd'hui. Pour Jun, mais surtout pour Kale. Miser ma vie en même temps que la sienne, c'est la chose la plus angoissante que je n'ai jamais faite. Cependant, je me sens réconforté aussi. Je suis déstabilisé.
Kale passe son bras en travers ma poitrine pour me stopper au moment où je basculais pour m'affaler sur ses draps.
— Douche, on a transpiré et il faut soigner tes mains. Puis de toute façon, t'es dégueulasse, hein.
Je me déshabille mécaniquement et salis un peu plus les fringues que je portais. À chaque mouvement de mes doigts, les sourires sanglants laissent échapper de l'hémoglobine. J'ai mal, mais c'est supportable.
— Tu t'es bien acharné sur la sortie que tu voulais prendre, fait remarquer Jun.
J'ai des entailles immenses sur le ventre, elles aussi saignent quand je bouge. Il n'y a que celles sur mes bras qui ne se rouvrent pas.
— Oui, mais j'ai pas réussi à la prendre.
— Tu serais tombé dans un repaire, il vaut mieux pas y parvenir dans ces cas-là.
Kale s'est déshabillé et attend son tour en mettant tout le linge sale dans le bac. Il range aussi nos couteaux près du lit. J'ai une seconde lame, je devrais exulter, c'est un cadeau de prix, mais je suis trop exténué. Tade m'a accepté et me fait confiance, c'est déjà un début.
Kale explique à Jun pour le fric et le repos, il ne s'étale pas.
— Vous êtes les meilleurs, vous me sauvez la mise, c'est à charge de revanche les gars !
— Espérons qu'on n'en ait pas besoin, soupire Kale. Sinon Tom, si tu pouvais te bouger, je suis vanné, hein.
— Ouais, déso.
Je sors dégoulinant d'eau, dont une partie se teinte déjà de rose. Je n'ai pas envie de souiller une des serviettes de Kale. Je sais qu'il est maniaque et le sang c'est galère à enlever. Surtout que je ne vais pas pouvoir me charger de cette corvée avec l'état de mes mains.
— Tiens, t'inquiètes pas, elle en a vu d'autres.
Kale est tout proche, nu. Je n'avais jamais remarqué qu'il était si grand ni le vert saisissant de ses yeux. Il a deviné ce qui me tracassait et je me sens vulnérable, mais moins seul.
VOUS LISEZ
Au-delà de l'encre
Ficção CientíficaDans la Zone, il n'y a qu'un moyen de survivre, rejoindre un clan et arborer sa marque. Au sein de cette micro-société coupée du reste du monde, la vie est dure et les ressources sont rares, sauf peut-être la drogue. Après des années à n'être qu'une...