Chapitre dix : Kale

167 30 35
                                    

Tom dort d'un sommeil mouvementé qui montre à quel point il est consumé par le manque.

Par contre, pendant ses phases d'éveil, il est d'un calme impressionnant, même si ses yeux ne trompent pas. Je vois qu'il est à cran, parfois il regarde la porte et son envie de fuir est évidente, mais ces phases ne lui durent pas plus de quelques battements de cœur.

Je ne lui ai pas dit qu'il m'épatait, à quoi bon, mais il force le respect. Il se sèvre alors que la décision, je l'ai prise pour lui avant de le mettre devant le fait accompli. Certes, c'est pour lui sauver la vie, mais je sais ce par quoi il passe. Sauf que contrairement à lui, j'avais supplié Tade pour qu'il m'aide et au bout de deux jours sans rien pour m'oublier, j'avais disjoncté et essayé de me barrer par tous les moyens. Sans la volonté de Tade pour suppléer la mienne quand elle n'avait plus suffi, je ne serais pas là. J'espère que mon ancien mentor verra les qualités de Tom, qu'il comprendra le gâchis que ça aurait été de le laisser crever chez les Oubliés.

Si j'échoue à le convaincre, Tom et moi sommes des hommes morts. Même si je n'y crois pas trop, ou du moins que je n'ai pas envie d'y croire. Je sais que je peux me faire bannir, sauf qu'ils ne se contenteront pas de me dire de me tirer du clan, j'en sais trop. Ils m'élimineraient. N'importe lequel d'entre eux le ferait. Mina, Jun, Tade et même Vince. Cependant, j'ai bon espoir que Tade se laisse convaincre par Tom quand il ne ressemblera plus à une loque sous-alimentée.

Je termine la vaisselle et vais m'entraîner. Mon corps s'impatiente de si peu se dépenser et le sommeil est de plus en plus dur à trouver. Après avoir sué, comme dans un jour sans fin, je ferai à manger en entendant que Tom se lève.

Tom finit par se réveiller et se traîne jusqu'au canapé entortillé dans la couette. Il ne prononce pas un mot, mais il a meilleure mine qu'au début.

— Tu pourrais pousser ton cul jusqu'à la table, c'est pas vraiment plus loin.

— Me cherche pas, grogne Tom.

De mauvaise grâce, je sers le petit-déjeuner sur la table basse.

— Tu as l'air moins fiévreux.

— Je me sens quand même comme une merde. Tu devrais avoir peur que je te tue dans ton sommeil pour me barrer, mec.

— Tu n'arriverais pas à me surprendre et tu ne gagnerais rien à faire ça. Tu es resté parce que tu sais que pour survivre, c'est ta seule chance. Tu as fait le plus dur, tiens bon.

— Tu m'encourages au lieu de m'insulter, ça me tirerait presque une larme, répond sarcastiquement Tom.

— Je vais tellement t'en faire chier quand tu seras sur pied que je peux me permettre d'être gentil maintenant.

— J'ai hâte...

Les jours se suivent et se ressemblent dans une sempiternelle routine. Tom se sent mieux, mais son désir de coke le harcèle souvent, j'ai remarqué qu'il avait la manie de chercher le pendentif qu'il avait à son cou et que j'ai caché. Il dort moins, ce qui lui laisse beaucoup trop de temps pour penser, je le vois. Il ne se plaint pas, mais c'est une évidence. Il a les yeux dans le vague alors que je fais quelques pompes.

— Soupire encore une fois et je t'assomme, dis-je.

— Je deviens dingue dans ton loft, je n'y peux rien.

— Bah, entraîne-toi avec moi.

À mon plus grand étonnement, il quitte sa place et me rejoint. C'est sans énergie qu'il obéit. Il peine une fois au sol, ses membres tremblent, mais il s'accroche. Après trois pompes, il retombe, essoufflé contre le parquet.

— J'ai pas de force, souffle-t-il.

— Rien d'anormal, ça va aller mieux. Viens face à moi, je vais t'apprendre à te défendre, je pense que ce sera plus adéquat.

Tom est réticent, il regrette peut-être son moment d'ennui. Il n'est pas sûr de lui, mais il reste docile.

— Imite-moi.

Il s'exécute, je regarde d'un œil critique sa position.

— Gaine ton ventre, écarte un peu plus tes jambes, sinon ça va. T'es pas mauvais pour une loque.

— Tu penses qu'on n'a jamais essayé de me voler ma came ? Je sais me défendre, c'est que là, je suis pas vraiment en état.

— Comment t'as appris ? Et comment tu as atterri chez les Oubliés ?

— Quelques jours avant que les Abdnégationistes me foutent à la porte, je suis parti de peur de me faire choper par un clan. J'ai traîné dans les égouts et au fil du temps à rechercher de la bouffe, j'ai trouvé un chemin qui donnait sur la ventilation du QG des Justes avec une vue imprenable sur la Cage.

— Je vois, réponds-je en me positionnant face à lui. J'y vais doucement, c'est pour t'apprendre à parer avec les bras, déplace-les comme tu le sens.

Tom stoppe mon coup de pied à quelques centimètres de son visage, ses muscles sont faibles, mais il a de bons réflexes. J'y vais lentement, mais je suis impressionné par l'aisance de ses mouvements.

— Tu m'as pas dit pour les Oubliés, hein, le relancé-je pendant une attaque.

— J'ai postulé chez eux, ils ont voulu faire de moi un gigolo, mais j'ai collé une raclée aux mecs, ils m'ont laissé ma chance.

— Ça paraît facile, dit comme ça. Écarte plus tes jambes, t'es pas assez stable.

— J'avais dix-sept ans, j'ai attendu plus longtemps que la plupart pour me chercher un clan.

— C'est rare de postuler de son plein gré chez un clan de ce genre...

Tom ne répond pas de suite, il soutient mon regard. Je suis statique, curieux de connaître la raison et de voir s'il sera honnête.

— J'avais déjà goûté à la coke, c'est ça que tu voulais entendre ?

— Je ne voulais rien entendre, mais je m'en doutais, dis-je en reprenant les mouvements offensifs. Tu as quel âge maintenant ?

— Dix-neuf. Et tant qu'on parle de ça, il est hors de questions que je vous autorise à me tatouer la clef. Je baise avec qui je veux, quand je veux.

— Pourquoi tu me dis ça ?

— J'ai vu la tienne et je sais que t'es pas le seul des Rédempteurs à l'avoir. Tout le monde le sait.

— Ah les rumeurs... Je l'avais avant... Je l'ai laissé visible pour paraître moins suspect. Autant qu'elle serve. Tu es observateur, c'est bien.

Tom hausse les épaules et continue de parer les coups lents. Je me demande comment il me perçoit après mon aveu. J'ai échoué là où lui a su se sortir de la rue sans devenir la sous-merde de tout le monde. Il ne sait pas que non seulement j'avais la clef, mais qu'en fait je n'avais que ça. Aucun clan ne s'est proposé pour me fournir un minimum de protection, parce que je n'en valais pas la peine. J'étais un sac à foutre, un défouloir. Rien de plus.

Au-delà de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant