J'avais réussi à manger proprement avant que Kale ne s'essuie – parce qu'il n'y a pas d'autres termes – sur ma joue.
J'ai envie d'éclater de rire. Ce genre d'attitude ne lui ressemble pas, comme tous les sourires canailles qu'il affiche. J'aime cette part de lui, pourtant je sais que tout est feint et qu'une fois son rôle quitté, le coin de ses lèvres ne se soulève que quand il est sarcastique ou qu'il se paie ma tronche.
Seul, je prends mon temps pour terminer mon verre, je regarde la foule et les mouvements des deux types qui avancent au milieu des tables comme en pays conquis. Ils reçoivent beaucoup de signes de tête, ils font même quelques accolades. Les approcher ne va pas être de la tarte. Jun va peut-être avoir une opportunité, car ils se mettent au comptoir tout près de lui et saluent aussi son pot de colle.
Je trépigne, je ne suis d'aucune utilité pour le moment. En rapportant nos couverts, j'en profite pour me faire à nouveau servir à boire. Je reste planté au bar à bouger en rythme tout en gardant un œil sur Kale qui se fait aborder de temps en temps. Je ne bronche pas, mais force est de constater que le voir demandé ne me plaît pas. Parce qu'il déteste ça... Et aussi parce que je suis un peu jaloux... Cette vérité ne me met pas en joie.
Quand il est gigolo, c'est les seules fois où je peux me permettre de toucher du doigt ce que j'aimerais vivre pour de vrai avec lui. Je suis pathétique.
Vie pourrie.
Une paire d'heures est passée depuis mon arrivée. Même si ce n'est pas donné, je recommande à grailler, c'était tellement bon ! Je n'étais jamais rentré ici, j'aurais dû ! Au lieu de m'acheter une veste en cuir, j'aurais dû venir me remplir le ventre de cette excellente bouffe.
— Bonsoir.
La nouvelle arrivée est une jeune fille de seize piges à tout péter. Elle s'est imposée dans mon champ de vision et me sourit d'un air un peu gêné. Je suis en train de savourer ma viande et je n'avais pas franchement envie d'être embêté, surtout qu'elle me coupe l'angle de vue sur les deux types.
— Bonsoir, réponds-je tout de même avec un sourire avenant.
Mon affabilité a dû passer pour une invitation, car la jeune pose sa main sur mon bras. Ses doigts sont frais malgré la touffeur ambiante. Je la détaille un peu mieux, mais même avec son tee-shirt court, je ne vois aucune marque. Peut-être qu'aucun néon ne frappe sa peau ou qu'elle a tout caché.
— Ça te plairait de boire un coup avec moi ?
— Ce serait moi qui invite, je présume.
— Heu... Oui, mais..., s'empourpre-t-elle.
— Si tu me disais directement ce que tu veux. Qu'on gagne du temps.
— Deux ou trois verres et en échange, je baise.
Je scrute à nouveau son ventre, mais rien. Sauf qu'elle le remarque.
— J'ai pas la clef ! s'alarme-t-elle.
— C'est ce que je constate, alors pourquoi en prendre le chemin ?
Sa gêne s'estompe et elle se met en colère.
— Ça me regarde ! De quoi je me mêle !
— Tu viens sous-entendre que je pourrais te baiser pour le prix exorbitant de trois verres, alors que même si on me payait je n'aurais pas envie de te sauter. Essaie des hommes ou des femmes plus moches et sois moins gourmande.
Elle reste bouche bée avant de s'empourprer et partir. La pauvre, elle n'est pas vilaine, un peu plate, mais à l'âge qu'elle a, rien d'anormal. Elle semble d'ailleurs passablement éméchée. Son trajet titubant se finit au bar ou elle parle avec un serveur avant de se faire rembarrer. Elle se tourne quand elle lève les bras de colère et je remarque enfin un éclat à gauche de son nombril. Elle est des Nourriciers. J'aurais peut-être dû céder à ses avances, j'aurais pu apprendre quelque chose. Mon charme a beau être grand, je ne pense pas réussir à sauver le coup. Tant pis. Je peux au moins finir mon repas tranquille.
Je rapporte mes reliefs au bar quand une main aventureuse me palpe allègrement le cul. Jun.
Je le laisse me faire ses avances. Je joue le jeu et le suis à l'extérieur pour faire un point avec lui.
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Au-delà de l'encre
Science FictionDans la Zone, il n'y a qu'un moyen de survivre, rejoindre un clan et arborer sa marque. Au sein de cette micro-société coupée du reste du monde, la vie est dure et les ressources sont rares, sauf peut-être la drogue. Après des années à n'être qu'une...