Je m'arrache du canapé-lit, mon corps courbaturé me torture. Je ronchonne maudissant Kale qui me fait découvrir des muscles insoupçonnés qui me mettent au supplice. Comme tous les matins, j'ai cherché mon pendentif, c'est une habitude qui ne me quitte pas. Quand je suis occupé la journée, l'envie sait se faire discrète, mais à certains moments stratégiques, elle est toujours là...
Par la lucarne, je remarque que le soleil est presque à son zénith et je sais d'avance que mon mentor va me passer un savon. Sauf qu'au point où j'en suis, je prends tout de même mon temps. Je sors du frigo le lait acheté la veille.
Quand je referme la porte, l'engin fait un bruit de tous les diables. Je grimace. Il ne va pas tarder à rendre l'âme et je ne pourrais pas le changer. Impossible de le monter par la façade et l'entrée est condamnée. Je vais sûrement devoir songer à déménager quand ça arrivera. Sauf que c'est un problème pour un autre jour. Je m'empare des céréales et des fruits secs sur le plan de travail et m'affale sur ma chaise.
J'ai de la chance d'avoir des fruits, se les procurer devient de plus en plus compliqué. Kale m'a filé de la tune pour que je me nourrisse, mais à un moment l'argent ne suffira plus. J'ai hâte des premières récoltes, sinon nous allons commencer à crever de faim. Mais là aussi, c'est un problème pour un autre jour.
Mon repas ne fait pas long feu, si je m'écoutais, je mangerais un peu plus. Toutefois, je sais que mes finances sont au plus bas, malgré les dons de Kale. Je pourrai me résigner à vendre les quelques pochons cachés sous le canapé. Sauf que c'est de savoir qu'ils sont là qui calme mes angoisses quand j'ai envie d'un rail. Je me dis que si je veux, je peux et ça change tout. De toute façon, prendre le risque de me faire choper à vendre de la coke en concurrence directe avec les Survoltés et les Oubliés, ce serait du suicide. Kale me tuerait peut-être lui-même pour cette bêtise, pour trahison envers mon nouveau clan.
Avec un soupir, je file à la douche. Les canalisations font un bruit d'animal agonisant avant de cracher un mince filet qui a au moins le mérite d'être chaud. Si ce n'est pas le frigidaire qui claque en premier, ce sera peut-être l'arrivée d'eau. Toutes les installations de l'immeuble sont sur le déclin. C'est le cas partout et il est difficile de faire des travaux sans signaler sa présence. Pour cette planque, ce sera de toute façon impossible. Il faudra que je change, même si je ne suis pas certain de trouver mieux.
Une fois sec, j'étale de la crème occultante à gauche de mon cou et en haut de ma colonne. Il fait jour, mais j'estime ne jamais être trop prudent.
Je me contorsionne devant le miroir dont le fond est piqué, croisant mon reflet incomplet. J'ai toujours une seconde de choc, car même sans me voir entièrement, la masse de cheveux décolorée sur ma tête me rappelle tout ce que je ne suis plus. Et aussi que je suis potentiellement en danger si ce subterfuge ne trompe pas les Oubliés. Kale me les a décolorés dès le retour du salon de Vince, il y a presque deux mois. Kale aussi a changé, il laisse pousser sa barbe. Je n'ose pas lui dire que pour le moment avec tous les trous il ne ressemble pas à grand-chose. On ne sait jamais, il pourrait frapper plus fort pour que je paie mon insolence.
Je peste devant mon reflet partiel, le naturel noir mange le blond de plus en plus nettement, je ne vais pas couper longtemps à la nouvelle séance d'asphyxie pour retrouver une couleur homogène.
Satisfait de la couche de crème que j'ai appliquée, je passe un tee-shirt gris. Plus besoin de se couvrir ou de ne pas pouvoir et de se geler à outrance, cette fin de printemps est plutôt douce. J'arrange rapidement les mèches devant mes yeux et quitte la pièce d'eau pour me diriger vers ma seule fenêtre : ronde, étroite, parfaite pour que personne ne vienne. J'ouvre, vérifie que la rue est vide et sors. Après avoir refermé la lucarne, je descends prestement aux fenêtres de l'étage d'en dessous. Sans perdre de temps, je fais glisser mes pieds sur le rebord étroit des fenêtres pour me rendre à la dernière de l'étage. Je prends appuie et m'élance pour m'accrocher à la gouttière en fonte, cette dernière ne bouge pas à l'impact. Au moins quelque chose qui tient la route. Je me dépêche ensuite de rallier le trottoir et quitte ma rue pour rejoindre des ruelles étroites et sombres. Malgré mes précautions je croise un Survolté, dont le logo est dessiné sur sa casquette.
VOUS LISEZ
Au-delà de l'encre
Science FictionDans la Zone, il n'y a qu'un moyen de survivre, rejoindre un clan et arborer sa marque. Au sein de cette micro-société coupée du reste du monde, la vie est dure et les ressources sont rares, sauf peut-être la drogue. Après des années à n'être qu'une...