Torse nu, j'arrange la sangle qui ajuste les fourreaux de mes couteaux dans le bas de mon dos. J'enfile ensuite un tee-shirt noir pas trop large pour ne pas paraître suspect et pas trop collant pour qu'il évite d'épouser de trop près ce qui est dissimulé au creux de mes reins. Je tourne sur moi-même vérifiant que rien ne se devine. Satisfait et fier de ma nouvelle acquisition, j'attrape ma veste en cuir et claque la porte de mon appartement.
La main contre le mur pour éviter toute chute stupide dans la cage, je descends les escaliers délabrés. Ces derniers sont sans garde-fou, avec des trous et dans le noir total. Heureusement, l'habitude m'évite de me rompre le cou. C'est un excellent moyen dissuasif et c'est ce qui me permet d'être relativement serein chez moi. Donc même si c'est dangereux, je compose avec les risques de chutes mortelles.
Dehors, un crépuscule gris recouvre le monde qui s'éveille dans cette partie de la Zone. L'obscurité ne tardera plus à envelopper notre univers et à rompre les rares tabous qui survivent en journée. Mais malgré les risques, je suis de bonne humeur et c'est d'un pas tranquille que je prends la route de la Plaque. Le marché de nuit, celui où on trouve quelque chose de plus précieux que la nourriture pour la plupart des gens : la drogue.
Je ne suis pas anxieux, même si ça fait deux ans que je n'y ai pas mis les pieds.
Avant aujourd'hui, je ne m'étais pas senti prêt. Mon passé d'héroïnomane et amateur d'autres substances était toujours trop frais. Et trop tentant. C'était facile à cette époque-là pour moi de céder à l'appel de la défonce et elles m'aidaient à supporter tellement dans mon quotidien.
Devenir quelqu'un de différent m'a demandé beaucoup d'efforts. Je pense que je n'ai plus rien physiquement et mentalement de celui que j'étais dans mon ancienne vie. Personne ne me reconnaîtra. Moi le premier, j'ai toujours du mal face à mon reflet, rien n'est pareil. Ma carrure, ma coiffure, mon allure, mes habits, tout a changé. Et je ne replongerai pas. J'espère que je ne me suis pas convaincu de mon abstinence en vain. Si je craque à la première dose qu'on me propose, je ne pourrais plus jamais me supporter. Mais il n'y a pas de raison, j'ai déjà été tenté et tout s'est bien déroulé.
Les petits immeubles laissent bientôt place à de plus grands, de la lumière est visible à leurs fenêtres. Des gardes à leurs pieds sont nonchalamment appuyés contre les murs délabrés et me regardent passer. J'aurais pu contourner cette partie et prendre par les maisons individuelles, même si le trajet aurait été plus long, mais j'ai eu envie de voir des repaires récents. Je ne peux jamais savoir si j'aurais besoin de me rendre ici pour une future mission. Je préfère être prévoyant.
Alors que je viens de passer la première barre de constructions, un cri de douleur résonne contre le béton, vite suivi des hurlements de colère d'un autre homme. Des cris de douleur encore. Puis le tonnerre d'un coup de feu. Je prends sur moi et reste impassible, mais laisse mes oreilles traîner, au cas où. Ce n'est pas exceptionnel. Surtout dans ces parties de la Zone où crèche une partie des petites mains des trafiquants de drogues. Je peux tout de même noter la présence d'une arme à feu, une denrée qui devient rare. C'est une information à garder quelque part dans un coin de ma tête.
Rien n'interdit les meurtres. Rien n'interdit quoi que ce soit de toute façon. Même si pour le bien de tous, les clans ont convenu d'éviter les tensions entre eux. Aucun ne peut vivre sans les autres. Cela n'empêche pas les dérapages, c'est à ça que servent les Rédempteurs. Des gens viennent se plaindre et nous vérifions s'il y a matière à intervenir. Selon les cas, notre concours va de l'intimidation à la mise à mort.
Je n'apprends rien, les hommes sont trop loin. La seule chose que je remarque ce sont des enfants cachés dans les égouts, dont les yeux luisent à mon passage, me jaugeant. J'ai été un de ces enfants errants, comme sûrement neuf personnes sur dix dans la Zone ; notre monde. Un frisson d'angoisse me remonte le corps. Des années difficiles, je préfèrerais mourir que les revivre.
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Au-delà de l'encre
Science FictionDans la Zone, il n'y a qu'un moyen de survivre, rejoindre un clan et arborer sa marque. Au sein de cette micro-société coupée du reste du monde, la vie est dure et les ressources sont rares, sauf peut-être la drogue. Après des années à n'être qu'une...