Chapitre quatorze : Kale

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L'obscurité est totale. Je me concentre, ne comprenant pas ce que j'entends. C'est une respiration, je crois.

Une personne malade ? Blessé ? Une diversion ? Tout me paraît envisageable, aucune option ne me semble plus probable qu'une autre.

L'attente me pèse, je me sens prisonnier chez moi. C'est le désavantage des habitations aveugles.

Le bruit s'accentue. L'individu a de plus en plus de mal, il tousse, gémi et son allure paraît avoir considérablement diminuée, me laissant imaginer qu'il est réellement en difficulté et ne joue pas la comédie. J'hésite à refermer la porte et à attendre que le type mal en point s'en aille ou meure. Même si le fait qu'il aille crever ailleurs m'arrangerait, car je n'aurais pas à me débarrasser du corps, mais au pire, j'enverrai Tom. Je veux juste que ce soit rapide. Si c'est un homme amoché, les mecs qui lui ont fait ça sont peut-être encore dans le coin. C'est ce qui me tracasse le plus dans cette histoire.

Je pourrais me montrer magnanime et allé achever le mourant, ce ne serait pas la première fois. Je suis un peu trop gentil, c'est un constat qui me bouffe de plus en plus. Des années à me blinder pour laisser ma carapace se fragiliser une fois que je deviens un Rédempteur. Un jour ma magnanimité me coûtera gros. Je lâche un profond soupir. Je sais que c'est faible de ma part de prendre la personne en pitié, mais je ne peux me résoudre à tourner les talons et à m'enfermer. Je vais tuer le mec en souffrance.

Je rallume l'appartement pour que la lumière filtre jusque dans la cage d'escalier. Elle n'illumine que le dernier tronçon, mais c'est déjà mieux que rien. Je me penche pour apercevoir les étages inférieurs. Je distingue vaguement une silhouette avachie qui tente de se redresser pour reprendre son ascension. Je ne compte pas attendre pour voir jusqu'où elle arrive et descends.

La personne n'a pas l'air d'avoir remarqué ma présence, elle s'escrime à essayer d'aller vers l'avant, mais tombe, sa tête et son bras pendant dangereusement dans le vide.

— Merde, Jun ! m'étonné-je

Prenant de l'élan, je saute au-dessus du trou et de mon ami inconscient, je me réceptionne avec agilité sous le regard ébahi de Tom qui ne comprend pas bien ce qui se trame.

Il fait très sombre, pourtant je vois le sang et les bleus qui rendent Jun presque méconnaissable.

Précautionneusement, de peur de tomber avec mon ami, je le soulève et le passe en travers de mon épaule et remonte jusqu'à chez moi. Je le dépose sur le lit, conscient que je suis bon pour laver mes draps. Malgré mes mouvements mesurés, Jun gémit de douleur.

— Aide-moi à le déshabiller, ordonné-je à Tom.

Le corps que nous découvrons et recouvert d'ecchymoses et de contusions. L'état du visage m'avait déjà donné une idée, mais je ne comprends pas comment ce carnage a pu arriver. Les gens qui lui ont fait ça ont essayé de le tuer.

— Ouvre les yeux, mec. Qu'est-ce qui s'est passé ?

Jun ne répond pas, je suis obligé de le secouer pour qu'il réagisse, le visage crispé de douleur il se tourne enfin vers moi.

— Les Survoltés m'ont pris pour une taupe des Oubliés.

C'était presque inaudible et entrecoupé par de petites inspirations qui ont semblé lui coûter.

— Pourquoi ?

Jun ne répond pas, étouffant une plainte les dents serrées.

— Arrête de l'assommer de questions, t'as vu son état ! intervient Tom en s'approchant.

— Il doit répondre ! On ne sait même pas où il était, ça se trouve les rues sont infestées de mecs qui le cherchent !

— Bah ça sert à rien de t'énerver, sourit Tom.

Au contraire, je m'énerve davantage, ne comprenant pas comment Tom peut tout prendre à la légère. Un échange stérile où je hurle et où Tom essaie de me calmer éclate entre nous, c'est un grognement de Jun qui y met fin.

— Je prospectais... ça leur a paru louche... et l'un d'eux m'a reconnu... il avait dû m'apercevoir... durant une mission... une chance, s'ils avaient soupçonné que je suis Rédempteurs... j'aurais jamais pu fuir...

La souffrance a haché le discours de Jun, sa voix était faible, loin de ce qu'elle est d'habitude, sans la bonne humeur qu'elle véhicule en temps normal.

— Sortez pas... ils me cherchent.

— On fait quoi ?

— On attend, réponds-je froidement. On a assez de vivres pour quelques jours.

— Et si jamais ils l'ont vu venir ici et qu'ils se radinent ?

— Inquiet finalement ? répliqué-je sarcastiquement.

— Non, mais je ne veux pas improviser dans la panique.

— Il nous suffira de leur casser la gueule, ça te va comme réponse ?

— Non, et je suis certain que tu te paies ma tête.

J'offre un rictus moqueur, content que Tom comprenne que la situation est sérieuse. Je prends quelques instants pour réfléchir en fixant la porte.

— Je pense que s'il avait été suivi, ils seraient déjà là. Tu vas partir en reconnaissance quand la nuit sera avancée pour voir si Jun est recherché.

— Pourquoi moi ?

— Personne ne te connaît dans ce coin, tu seras moins suspect.

— OK, mec, répond Tom en souriant.

— Tu m'exaspères à être toujours si confiant, c'est déprimant.

Tom sourit davantage et finit par aller dans la cuisine prendre de quoi désaltérer Jun alors que je cherche de quoi le désinfecter et le coudre.

Le temps a couru et l'état de Jun est de plus en plus préoccupant. Nous lui avons prodigué tous les soins que nous avons pu. Mais il semble souffrir le martyr et a des difficultés à respirer.

— Changement de plan. Tu vas au QG en premier lieu chercher quelqu'un qui se sent capable de soigner Jun et qui rapportera tout ce qu'il faut, et après tu vérifies s'il est recherché. Et tu fais gaffe de ne pas être suivi !

— Je ne suis pas stupide. Je file.

Au-delà de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant