Chapitre vingt-trois : Tom

140 30 54
                                    

Je sors des égouts sous les yeux de Vince qui est en pleine confection de crème.

— Tu es vivant ?!

— En quoi c'est étonnant ?

— Vous sembliez dans une sale situation.

— Et on s'en est occupé comme des grands.

— Comment vont Jun et Kale ?

— Ça va.

— Ils t'envoient au casse-pipe, c'est pas très joli de leur part, se moque Vince.

Je garde mon calme. Vince est toujours dans une étrange neutralité ni gentil ni méchant, ni amical ni inamical. Il parle simplement de la réalité de la situation. Même si elle fait mal.

Il saisit son talkie-walkie et m'annonce.

— Tade est dans son appart', si c'est lui que tu cherches.

Je le remercie et file. Il y a les deux mêmes mecs qu'à ma dernière venue. Ils m'offrent un signe de tête, ce qui est un progrès. J'imagine que c'est la coutume, mais c'est la première fois que je quitte la pièce de Vince. Kale m'a expliqué comment me rendre au onzième étage chez Tade, mais j'ai un peu le trac. C'est un risque, car il peut très mal prendre que je me balade dans le complexe alors que je suis novice.

Je me faufile dans le trou derrière les gardes. C'est vraiment étroit, je me demande comment les types les plus baraqués du clan font pour ne pas se coincer. J'imagine que l'habitude doit aider.

Enfin parvenu au premier, la nana confirme mon arrivée et je rejoins la cage d'escalier. C'est si simple que la situation me paraît étrange, mais le fait que Vince m'ait annoncé légitimise ma présence, je pense. C'est le meilleur des scénarii que m'avait fournis Kale pour le moment, j'espère que ma chance va durer.

J'arrive au bon étage et cherche la porte 11C. Une fois devant, j'inspire et frappe. J'ai été ferme, je ne veux pas montrer mon angoisse.

Tade ouvre. Il est en caleçon, un hydromel à la main, ses sourcils broussailleux se sont froncés et il ne dit rien l'espace de quelques instants.

— T'es venu m'annoncer que le gamin et notre meilleur gigolo sont morts ?

— Non, je suis venu faire le compte rendu de la situation. Ils sont tous les deux vivants et en sécurité.

— Entre.

Il est en colère, je l'ai vu à son visage dont toutes traces de surprise ont déserté avant de complètement se fermer.

— Pourquoi Kale n'est pas venu lui-même ? Déjà la première fois ça m'a paru suspect, mais là...

— Il a été blessé au mollet, il ne peut pas courir.

— Ça se trouve, tu es une putain de taupe des Oubliés. Tu t'es débarrassé de Jun et Kale et tu essaies de nous la faire à l'envers.

Mon cœur s'emballe, j'ai chaud tout à coup. Je vais peut-être me faire buter.

— Non, je...

Tade est encore plus flippant que Lyan et ce n'est pas peu dire. J'avais peur de Lyan et de son sadisme, sauf que je n'avais jamais vu quelqu'un me transpercer du regard avec autant de détermination. Chaque mot qui sort de ma bouche peut me condamner. Alors, je tente de me reprendre et je relate tout. Jusqu'au moindre détail, espérant que Tade reconnaisse des manies de Kale que j'aurais été incapable d'inventer. Je lui fais comprendre que si nous avons attendu avant que je vienne c'était pour être sûr que rien n'a été négligé.

— T'es sûr que les deux se remettront ?

— C'est en bonne voie. Même si pour Jun ça risque d'être long.

— Tu as ton couteau avec toi ?

— Oui.

Il tend la main et sans hésiter, je le sors de son fourreau au bas de mon dos et le lui remets.

Sans comprendre, je me retrouve le souffle coupé, plaqué contre la porte de l'appartement et ma lame sous la gorge.

— Tu es peut-être véritablement un génie au service des Oubliés ou Kale a eu une chance folle de tomber sur toi. Sauf que vois-tu, Kale a un point faible, un qui aurait dû lui interdire de faire partie des nôtres ; c'est sa gentillesse. C'est pour ça qu'il a tout tenté pour sauver Jun. Il en aurait fait de même pour moi et, même si c'est réconfortant quelque part de le savoir, je sais que ce type de faiblesse ne pardonne pas. Tu le sais aussi n'est-ce pas ?

— Oui.

— Alors qu'est-ce qui me dit que tu ne joues pas un double jeu ?

— Rien. Si j'ai été capable de simuler une overdose, de prendre le risque de me faire buter par les Survoltés, vous et tous ceux que j'ai croisés en portant le corps d'une personne inconsciente rien ne vous dit que je ne suis pas aussi capable d'accepter n'importe quel autre sacrifice.

— T'as plus retouché à la coke ?

— Non... Mais il m'en reste chez moi que je n'ai pas réussi à me résoudre à jeter ou à vendre...

— Au cas où, hein ?

— Oui, ça fait de moi un traître, j'imagine.

Tade a un ricanement sarcastique, mais il ne semble pas en colère.

— Je vais t'envoyer en mission, sans ton couteau. L'une des nôtres, une femme blonde de trente-cinq piges n'est pas revenue de chez les Justes depuis deux jours. C'est aussi une Mélo en plus des nôtres, je veux savoir ce qu'il lui est arrivé. Kale m'a expliqué que tu connaissais le QG des Justes comme ta poche.

— Je ne vois pas le rapport avec tout ce que je vous ai dit.

— Le rapport est simple. Si tu es vraiment l'un des nôtres, tu vas prendre le risque soit de te faire buter par les Justes, soit par les gosses des égouts pour nous dire si l'une des nôtres a été gaulée par un clan adverse. Car si c'est le cas, nous sommes tous en danger. Mina connaît beaucoup de nos secrets. Rend service au clan, bosses dur pour compenser ce que Kale et Jun ne peuvent pas faire et je réfléchirai à les couvrir quand ils referont surface. Si jamais ils sont morts tous les deux et que tu m'as menti, tu pourras te teindre les cheveux de toutes les couleurs, changer de clans, te terrer dans je ne sais quel trou, je te choperais et tu passeras le pire moment de ta vie entre mes mains. C'est clair ?

— Limpide. Si jamais elle est prisonnière, qu'est-ce que je dois faire ?

— Tu la tues.

J'ouvre la bouche, j'hésite et n'ose pas formuler ma question.

— Quoi ? s'impatiente Tade.

— Si je peux la faire sortir avec moi et la ramener ici, en étant persuadé qu'on n'est pas suivis, je dois quand même la tuer ?

— T'es pas supposé sortir vivant de là-dedans si tu arrives à la tuer. Une prise telle que celle d'un Rédempteur est toujours très bien gardée, si tu l'approches c'est la mort assurée.

— C'est une mission suicide...

— Oui, c'est le prix de la somme de toutes vos erreurs, en espérant que les deux autres retiennent la leçon.

Ma gorge est serrée, soit je tente ma chance et je m'enfuis et Kale et Jun sont des hommes morts, soit je remplis la mission. Peu importe les options, dans aucune d'entre elles je suis supposé m'en sortir.

— Bien, je peux avoir des détails sur son physique ?

— Elle a les côtés du crâne rasé, ses cheveux blonds lui arrivent aux épaules. Elle a les yeux bleus et elle fait pratiquement ta taille.

Au-delà de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant