Qu'est-ce qui vient de se passer ?
Kale s'est endormi pratiquement dans mes bras. Du moins sur l'un d'eux et des fourmis commencent à l'envahir, sauf que je n'ai pas à cœur de le déranger, alors je ne bouge pas.
C'était dément !
Toutes mes autres parties de jambe en l'air font pâle figure à côté de ce que je viens de vivre. J'en ai le corps tout tremblant et je me sens tout cotonneux. Et ça n'a rien à voir avec la peau de Kale en contact avec la mienne ou avec le plaisir d'avoir pu goûter ses lèvres.
Si nous survivons et que ça ne nous arrive plus jamais, j'aimerais croire que je me contenterais des souvenirs, mais je sais d'ores et déjà que j'en serais incapable. Mon addiction à Kale, à sa présence était déjà forte, sauf que maintenant, je saurais ce que je rate ! J'ai envie de m'enivrer de son être jusqu'à en crever. C'est pire qu'avec la coke...
Il risque de prendre peur, s'il s'aperçoit que je ne peux plus me passer de lui. J'espère en tout cas que ce qui vient d'arriver ne va pas rendre nos rapports étranges.
Il va me falloir prendre sur moi, donc avant d'en revenir à la dure réalité et à la mort que nous aurons à affronter, je savoure même l'inconfort de mon bras privé de sang, parce qu'il est sous lui. Je me fous de la signification de ma nouvelle dépendance.
Je ne parviens pas à m'endormir parce que ma position est désagréable, mais je somnole. Et c'est Kale en se redressant d'un coup qui me fait sursauter.
— Quelle heure il est ?
— Bientôt l'heure de manger. Tout va bien, tu peux te recoucher, je vais m'en occuper.
Je me lève et lui cache que je refais circuler le sang dans ma main. Je suis un peu raidi par nos efforts passés et c'est d'un pas maladroit que je me rends sous la douche rincer les reliefs de nos ébats.
Kale me fixe. Il n'y a aucune convoitise dans son regard, j'y lis une énorme réflexion. Je crois qu'il est aussi paumé que moi sur ce qui vient d'avoir lieu. J'espère qu'il ne regrette pas, car moi je n'en regrette pas une seule seconde, mis à part de ne pas avoir sauté le pas plus tôt. C'est peut-être un gros gâchis. Mais la vie est comme elle est et l'important c'est ce qui arrive.
Je me délasse sous l'eau chaude avant de me sécher dans la serviette de Kale. Et c'est nu que je me rends en cuisine pendant qu'il se lave.
J'ouvre le frigo et aperçois une grosse pièce de viande, mais je n'ose pas la prendre. Comme je m'y attendais, il n'y a aucun reste, alors je saisis la viande séchée et vais préparer du blé.
— Tu peux faire le bœuf, on partagera.
— Tu sais la cuisson de la viande et moi... J'aurais peur de me planter.
— Sors-la, je m'en occupe quand j'ai fini.
Je salive d'avance et m'exécute.
Kale a revêtu un caleçon quand il me rejoint. De l'eau perle de ses cheveux qui sont presque châtain ainsi mouillés. Il est sexy. Même sa barbe humide le rend beau. Je détourne le regard de peur de l'incommoder.
Les bonnes odeurs de cuisson ne tardent pas à remplir la pièce. Cette attente gourmande a le mérite de me faire oublier ce que nous devons faire après. Le silence est plaisant, il s'est un peu allégé de l'angoisse que nous ressentions plus tôt. À croire qu'un peu de bouffe peut tout régler.
Le repas est vraiment un régal. La viande est juteuse et c'est un plaisir de la mastiquer.
Malheureusement, la réalité nous rattrape vite. Les assiettes sont rapidement vides et nettoyées et il faut se préparer.
Après une longue réflexion, nous optons pour un jogging. Même si ce n'est pas le plus courant, ils offrent deux avantages. Le premier, c'est qu'ils facilitent les mouvements et le second ils sont noirs, ce qui camouflera d'éventuelles traces de sang.
Pour les tee-shirts, même si nous mettons du temps à choisir nous savons que nous ne les retrouverons sûrement pas. Ils vont surtout servir à nous donner un style un peu paumé quand nous passerons devant les vigiles. Kale en a choisi un blanc avec « K.O. » écrit, quant au mien il est gris avec une silhouette taguée dessus. Avant de les enfiler, il faut s'atteler à l'étape de la crème occultante. Pour la première fois, c'est Kale qui m'étale la mienne. Il s'applique. Sentir sa peau courir sur la mienne réveille quelques souvenirs de ce qui a eu lieu plus tôt. Je prie intérieurement pour avoir l'occasion de revivre à nouveau un moment aussi fou. Une façon détournée de souhaiter que nous sortions vivant tous les deux de l'Oublie.
Kale prolonge le moment en repassant quelques-uns de mes grains de beauté avec sa peinture à relief. Je ne me rhabille pas de suite pour que tout sèche correctement et m'attèle à recouvrir le corps de mon ami. Il a allumé son néon pour me faciliter la tâche. Je ne me lasse pas de l'aspect irréel de tous ses dessins qui illuminent son épiderme.
Le travail est fastidieux et arrivé à sa clef, je lui jette un regard.
— Tu la caches aussi. Ce soir, je ne compte pas passer pour un gigolo.
La cacher m'oblige à frôler l'aine de Kale qui a baissé son caleçon pour ne pas qu'il me gêne. La naissance de son sexe m'aguiche. Pourtant, je ne vois vraiment pas grand-chose, mais la suggestion suffit à me mettre dans tous mes états.
Je suis vraiment dans la merde. Je me mordille la lèvre pour tenter de penser à autre chose et je souhaite secrètement qu'il ne remarque rien.
Je suis pathétique. Si nous survivons à cette histoire, il faudra peut-être que nous en parlions... Ou pas. Pour dire quoi de toute façon. Je lui ai déjà avoué que mon attirance n'était pas née d'aujourd'hui. Je me retiens de soupirer et je termine le travail.
Le temps que tout sèche correctement, Kale s'approche du miroir et s'empare d'un petit flacon de khôl. Il passe le bout sous ses yeux et frotte. Puis recommence cernant ainsi le vert de ses iris d'un trait épais de noir. La couleur de ses pupilles en devient bouleversante d'intensité quand il capture mon regard à travers le reflet.
Je me reprends quand il me tend le khôl et je m'approche pour l'imiter. Le rendu n'est pas le même, mes yeux semblent plus petits et moins hypnotisant que les siens, mais je ressemble à un camé et c'était le but. Entre mes cheveux blonds et le maquillage, je ne me reconnais pas. Et je souhaite ardemment que ce soit le cas des membres de mon ancien clan.
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Au-delà de l'encre
Science-FictionDans la Zone, il n'y a qu'un moyen de survivre, rejoindre un clan et arborer sa marque. Au sein de cette micro-société coupée du reste du monde, la vie est dure et les ressources sont rares, sauf peut-être la drogue. Après des années à n'être qu'une...