Je vérifie que ma banane est bien fermée, je ne vais pas traîner de peur de me faire agresser et voler.
Les autres repartent déjà, certains n'ont pas fini leur tour ce soir. Ils sont toujours détendus, alors que moi je commence à avoir peur. C'est la partie de mon taf que je déteste le plus.
Je me mets en branle, rattrapant mes collègues qui, complètement insouciants, sont très bruyants. Il faut être prudent, autant de par le choix du trajet, que de par les regards qu'on pourrait attirer. Être vigilant sur là où nous roulons pour éviter les trous et les déchets qui jalonnent la route est déjà prenant, ces idiots devraient fermer leur gueule. C'est concentré sur le chemin à prendre que je remarque le mec que nous avons croisé en arrivant. Je ne l'ai jamais vu dans le coin. Il est assez baraqué, il peut très bien être un membre de la concurrence venu surveiller de loin, ou un simple membre lambda d'un autre clan qui aime bien la castagne. Ou alors un Rédempteur ou un Juste en quête d'une victime.
Les Rédempteurs par essence font flipper, ils frappent dans l'ombre. Je n'ai aucune raison de me retrouver dans leur collimateur, mais il y a toujours une angoisse, surtout quand on entend presque tous les jours des histoires sur des assassinats perpétrés par l'un d'eux. Les Justes eux... Ils portent mal leur nom, car leur façon de dispenser la justice est purement par la force et uniquement dans leur QG. J'ai passé une partie de mon adolescence, caché dans leur ventilation à apprendre en regardant. Les procès étaient toujours de simples combats qui brassaient un maximum d'argent en pari.
Ce n'est pas bien compliqué, quelqu'un vient se plaindre d'une personne, qui est convoquée ou traînée dans l'édifice contre sa volonté. Les deux parties ont le droit de se battre pour leur cause ou d'être représentée et le dernier debout dans la Cage a raison.
Dans ce lieu, je n'ai pas appris qu'à me battre. C'est aussi là que j'ai pris goût à la coke.
J'arrive à la hauteur du blond. Je m'arrête en dérapant juste devant lui. Il lève les yeux au ciel et me toise avec hargne, mais je ne me dégonfle pas :
— Toujours pas changé d'avis ?
— Toujours pas.
Il est fermé, je n'insiste pas et reprends ma route, je n'ai pas envie de m'attirer des ennuis. Il ne m'a pas menacé, sauf que certains préfèrent garder l'effet de surprise. Tant pis, je trouverais quelqu'un d'autre à qui vendre.
Je pédale vite pour rattraper mon retard et reste à l'affut du moindre mouvement. Mais aujourd'hui, j'ai de la chance et c'est sans encombre que j'arrive jusqu'au QG.
La porte derrière moi est fermée avec brusquerie par un des gardes. C'est le moment que je hais le plus de ma journée, celui où je dois rendre des comptes. Je me sens oppressé dans cette espace, sûrement parce que je suis vulnérable. Je ne suis rien et en avoir conscience me terrifie. Mon nez me démange, dès que je sors de cette pièce, je prendrais de quoi tenir et faire taire mes angoisses. Lyan, le mec devant moi, joue son rôle à la perfection assis derrière le bureau branlant. Il affiche une suffisance et un mépris qui m'enfoncent toujours plus dans mon rang social. Celui d'une merde. Mais une merde qui survit. Je sais que ce n'est pas lui le chef, car ce dernier se fait discret, il sort peu. Comme beaucoup, il est paranoïaque. Il doit y avoir une vingtaine de membres du clan qui sont dans la confidence. Moi j'ai ma petite idée de son identité, mais je fais en sorte que personne ne se rende compte que je suis moins con que j'en ai l'air.
Je tends la liasse de billets que j'ai transportés dans la banane sous mon tee-shirt. Lyan s'en saisit et prend son temps pour faire le total.
Une sueur poisseuse recouvre mon front. Il sait que je me chie pratiquement dessus. S'il décide qu'il manque du pognon, je suis un homme mort. La pièce n'est pas beaucoup éclairée. Il commence à esquisser un sourire, le blanc d'une dent tranchant sur sa peau d'ébène. Il est flippant et il ne me regarde pas encore. C'est pire dans ces cas-là, le noir insondable de ses yeux paraît m'engloutir.
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Au-delà de l'encre
Science FictionDans la Zone, il n'y a qu'un moyen de survivre, rejoindre un clan et arborer sa marque. Au sein de cette micro-société coupée du reste du monde, la vie est dure et les ressources sont rares, sauf peut-être la drogue. Après des années à n'être qu'une...