Chapitre neuf : Tom

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Je me réveille pour la énième fois en sueur. Je dors très mal, je suis surtout allongé en boule en espérant sombrer sans beaucoup y parvenir.

Fiévreux, je me traîne péniblement jusqu'aux toilettes. Machinalement, j'ai cherché mon pendentif et la déception de ne pas le trouver accentue cette boule qui m'oppresse et semble me dévorer. J'ai perdu le compte des jours ; trois, quatre... Je ne suis même pas sûr que Kale le sache non plus.

Dos au lit, je sens malgré tout les yeux de mon chaperon peser sur ma nuque. Il refuse d'éteindre la lumière, pour mieux me surveiller, j'imagine. Plus de nuits, plus de jours. J'en deviens fou. Mon envie de me soulager avec un rail de coke me hante, j'en ai tellement besoin pour surmonter tout ça... Je suis rongé de l'intérieur par ce désir, j'y pense sans discontinuer.

Avant de retourner me coucher, je passe de l'eau sur mon visage pour tenter d'apaiser mon mal-être, sauf que c'est à peine s'il s'estompe.

— Ça va pas mieux ?

— Non, tu vas finir par me tuer, grommelé-je.

Kale ne me répond pas, mais ça n'a rien d'étonnant. Si je crève, je serai seulement un fardeau dont il devra se débarrasser avant de reprendre sa routine. J'espère souiller ses sacro-saints draps, si je succombe au sevrage. Simplement pour l'emmerder. Et peut-être pour le marquer un peu, que quelqu'un se souvienne de moi plus de quelques heures après ma disparition. Je ne sais pas pourquoi cet aspect me tient à cœur, mais l'idée de passer sur cette terre et de ne frapper aucun esprit m'angoisse. C'est comme être inutile, souffrir sans but et pour souffrir, j'en connais un rayon en ce moment même.

Mes phases d'éveils sont un enfer. Kale m'oblige à manger, parfois c'est à peine descendu que ça remonte et malgré tout il me force encore. À mon sens, c'est du gaspillage de denrées alimentaires, mais c'est les siennes, il fait ce qu'il veut. Ce serait presque une revanche pour ce qu'il me fait endurer de vider ses stocks et son pactole, sauf que c'est moi qui en chie le plus à ces moments-là.

Il me répète sans cesse que ça va aller mieux. Même si je reconnais que physiquement, je commence à sentir une différence, je ne le crois pas. L'envie est là et elle me bouffe. Je ne pense qu'à ça. S'il n'était pas aussi alerte, peut-être que je tenterais de me barrer. De ça aussi j'en crève d'envie. J'ai un peu de poudre cachée dans mon appartement. Il n'y a que cette idée qui m'obsède. Pour la suite, j'aviserais... Si j'osais.

Sauf que je n'ose pas, je ne me rebiffe pas. Je suis docile et du mieux que je peux, je lui obéis, car malgré mon cerveau obnubilé par sa future dose, mon instinct de survie est toujours présent et il hurle plus fort que le besoin – la plupart du temps. Mes chances de vivre dans ce monde pourri ne tiennent qu'à Kale pour le moment. Alors même si pendant une fraction de seconde, il m'arrive de réfléchir à une issue, je tiens bon.

Je n'arrive pas à dormir tout le temps, mais je reste muet et mon hôte ne brise pas le silence non plus. Il vaque à ses occupations, il s'entraîne beaucoup, sauf que je ne le regarde pas. Je ne le mate même pas quand il va sous la douche. Le sexe qui était pourtant un défouloir qui motivait en partie ma vie ne m'intéresse plus pour le moment. Mon corps désire autre chose. De toute façon, Kale ne semble pas attiré par moi. Je ne sais pas lequel de nous a un problème. Moi qui ne comprends pas pourquoi il n'a pas essayé de me choper, ou lui qui n'éprouve aucun désir pour mon physique. Il pourrait être plus branché par les femmes, mais je n'ai jamais croisé un type qui refusait de se soulager avec un mec. C'est le plaisir l'important, pas avec qui on le prend. Qui plus est, je suis androgyne, tout le monde trouve son compte avec moi. C'est pour ça que j'aurais été un parfait gigolo, mais j'ai la chance d'y avoir échappé. Ça n'a pas été facile, j'ai dû me battre au sens propre quand Maek a essayé de me violer pour faire de moi son chien. Et j'ai dû coller encore des coups quand il m'a présenté au clan pour que j'obtienne mon tatouage.

Une sale période, j'avais peur qu'ils changent d'avis et de tomber dans un traquenard où ils m'auraient infligé la clef. Mais ce n'est jamais arrivé.

Je me demande dans quel clan a évolué Kale. Avec son physique, il aurait pu s'imposer un peu partout. Il me semble lui avoir vu la clef, mais on sait tous que les rédempteurs s'infiltrent grâce à ce tatouage-là. Il n'a pas non plus les bras impressionnants de ceux qui bossent le métal ni la peau tannée de ceux qui travaillent dehors. J'imagine que je verrais sa marque bien assez tôt. Car je ferais tout pour être digne de recevoir celle des Rédempteurs, c'est mon seul salut. Et même si ça m'emmerde, il dépend en grande partie d'un parfait inconnu qui m'a secouru pour je ne sais quelle obscure raison étant donné qu'il n'a même pas essayé de me sauter.

Épuisé, je retourne m'allonger et oublier l'oppression que m'impose mon manque. Cette boule dans mon ventre qui me grignote toujours un peu plus. Ce mal de tête qui ne me quitte pas. Ces nausées qui me labourent l'estomac. Ces tremblements qui me sapent toutes mes forces. Vivement que ce cauchemar cesse.

Au-delà de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant