Chapitre quarante-six : Tom

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J'ai du mal à trouver une pute de libre. Les rares qui le sont, sont des filles des Oubliés, sauf que j'ai peur de prendre le risque de leur parler, car je les reconnais. Sauf que je ne vais pas pouvoir tergiverser dix ans. Je sais aussi que je vais avoir du mal à les convaincre de baiser dans les chiottes du bas alors qu'elles ont leurs chambres en haut. Bordel, ce n'est vraiment pas de chance.

Alors que je me décide pour une fille que je connais que de vue, des mains se posent sur mes hanches.

— Une pipe ? m'invite la voix de Jun dans le creux de mon oreille.

Je joue le jeu et lui file des tunes. Même s'il y a peu de risques d'être repérés, il faut être prudent.

Jun m'entraîne dans les chiottes. Mon cœur bat de plus en plus fort. Je regarde partout, toutes les cabines sont occupées et des gens pinent sur les lavabos. J'ai une chance monstre, ou alors Jun a guetté le moment où il savait que ce serait le cas. Ça ne m'étonnerait pas de lui.

Je prends le dessus et c'est moi qui le guide désormais en jouant le mec pressé. Je bouscule les gens qui me gênent et me rends au fond de la pièce où se trouve une porte close avec une grosse croix taguée en son milieu. J'appuie sur la poignée, mais comme je m'y attendais, elle est verrouillée.

Sans lâcher Jun qui fait semblant de vouloir se dégager, je donne un gros coup d'épaule au battant. Je ne me retourne pas de peur de voir des personnes s'affoler et prêtes à me faire renoncer.

La porte n'a pas cédé, mais elle n'est pas solide, le bois du chambranle est fragile et mon second coup arrache l'emplacement du verrou. Je m'engouffre dans le passage ouvert en tirant Jun avec moi et je referme.

Je suis stressé, je m'attends à tout moment à sentir la porte dans mon dos tenter de s'ouvrir, mais rien.

— Les gens n'en avaient rien à foutre, m'informe Jun. Ils ne nous ont même pas regardés.

Je suis obligé d'attendre que mes yeux s'accoutument et que le peu de luminosité qui filtre par la porte m'éclaire ce que je cherche. Le temps me paraît interminable.

Je sens Jun qui me met tout son argent dans la poche. Ce manège c'est pour les apparences, pour faire croire que j'en ai profité pour le dépouiller, parce qu'il va me falloir le frapper pour donner l'impression qu'il n'aurait rien pu faire. Ces précautions ne serviront peut-être à rien, soit parce que personne ne fera le rapprochement jusqu'à lui, soit au contraire parce qu'ils peuvent décider de le buter quand même. Il risque gros. J'aurais préféré trouver une pute, mais impossible de pouvoir avoir ce qu'on veut au moment précis.

Je commence enfin à percer le noir qui m'entoure et m'approche du panneau électrique.

— Frappe-moi d'abord.

J'obéis à Jun. Je me sens mal de lui infliger ça, c'est peut-être pour cette raison que mon coup ne le jette pas au sol.

— Encore et plus fort, m'indique-t-il.

Je ne distingue que vaguement ses traits, mais j'ai deviné sa détermination au son de sa voix. Je le frappe à nouveau. Il recule, mais se rapproche encore.

— Je ne pense pas que ça suffise.

Je me colle à lui et allume ma montre pour voir à quoi il ressemble. En effet, c'est à peine si sa peau semble rouge. Mais ça va peut-être apparaître plus tard, sauf que c'est sa vie qui peut se jouer sur la crédibilité des coups, alors le ventre noué, je cogne encore. Et encore.

Jun finit au sol. Il y a trop de musique pour que j'entende s'il émet des sons. Je sais qu'il est en vie, mais il semble avoir du mal à rester conscient. J'espère que je ne lui ai rien fait de trop grave.

Au-delà de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant