Chapitre trente-trois : Kale

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Je suis saoul.

Ma discussion avec Tom m'a un peu bouleversé. Dire à voix haute ce qui hante mes nuits et chacune de mes missions avec la clef m'a mis le cerveau sens dessus dessous.

Le Poudré qui m'avait acheté avait un autre réceptacle à foutre. Une fille, brisée, plus jeune que moi et je l'ai vu crever sans broncher.

Le Poudré était énervé ce soir-là, il avait perdu un max à la Cage. Comme presque chaque jour, il venait nous retrouver à la Plaque. Il nous obligeait à rester sur place, même si à cet endroit, sans signe clanique nous étions des proies faciles et qu'il était difficile de se faire de la tune tellement la concurrence était rude. Mais ni elle ni moi n'osions courir le risque de nous barrer. Avec le recul c'était stupide, mais pris dans ce genre de situation on ne comprend jamais les choses clairement.

Cette nuit-là m'a marqué, parce que j'ai vu la mort de près. Une mort horrible.

Il a commencé à nous frapper entre deux hangars.

Ma tête a cogné contre la tôle et je ne me relevais pas assez vite à son goût. Puis il m'a étranglé en me redressant par le cou. Il hurlait. Il nous abominait verbalement. Tous ses malheurs, c'était notre faute à l'écouter.

La fille pleurait, réaction qui lui arrivait de plus en plus fréquemment. Il ne le supportait pas, sa colère a redoublé, il m'a précipité à nouveau au sol et s'est débraillé. Puis, il l'a forcée à le sucer. Entre les hoquets de ses sanglots et la bouche occupée, elle ne parvenait pas à respirer. Elle se débattait et il n'en avait rien à carrer. Avec ses maigres forces, elle n'avait aucune chance.

Il lui suffisait d'une main, il ne lui lâchait pas la mâchoire et la maintenait en place. Le souvenir des bruits de cette scène me donne encore des hauts le cœur... Les yeux fermés, je suis resté prostré au sol.

Je crois que sur le moment, je ne comprenais même pas.

Puis tout s'est arrêté, j'ai eu l'impression que c'est arrivé d'un coup, mais je suis presque certain que ça n'a pas été le cas. C'est simplement que mon cerveau a dû faire ses valises à un moment donné.

J'ai repris le contact avec la réalité quand le silence a été à nouveau déchiré par les hurlements du Poudré qui était furax d'avoir perdu l'une de ses chiennes sans avoir joui. Donc ça a été mon tour, je n'ai même pas eu la force de me débattre, j'avais le regard braqué sur la petite blonde, les yeux révulsés inertes sur le sol défoncé. Peut-être que c'est ce qui m'a sauvé. J'ai agi comme un automate. Pourtant je manquais d'air, j'avais les poumons en feu et l'acide de mon estomac qui me brûlait la trachée. Je toussais entre deux remontées gastriques. C'était l'enfer, mais sur le moment, je regardais la mort en sachant pertinemment que j'allais finir comme la fille.

Puis alors que je commençais à remuer à la recherche désespérée d'un peu d'air, c'est son foutre qui a rempli ma bouche et il m'a libéré.

J'ai vomi.

Depuis j'ai une peur panique de mourir étouffé.

Mon seul réconfort dans cette histoire c'est que la mort de ce connard a été aussi horrible que celle qu'il a imposée à la fille. Tade l'a égorgé sous mes yeux. Le regard horrifié de cette raclure en train de se noyer dans son sang ne m'a jamais donné la moindre once d'empathie.

Sur le moment, j'ai été terrifié, parce que j'avais vu le Rédempteur à l'œuvre, pas parce que mon propriétaire était en train de crever. Pour rester discret son bourreau devait me tuer, alors je l'ai supplié de m'apprendre à devenir comme lui et il a accepté.

— L'ambiance est un peu plombée, déclare Tom me sortant de mes pensées. Sans Jun pour meubler ça paraît vide.

— Tu voudrais parler de quoi ? Il l'ouvrait seulement pour étaler son manque de cul. Je préfère le silence.

Au-delà de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant