Chapitre trente-cinq : Kale

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Même si je suis sur les rotules, hors de question de rater la confrontation de Tom avec Tade. Je les suis jusqu'au douzième et je les aide à installer les tatamis. Tade me refile le talkie-walkie pour que je transmette d'éventuelles informations importantes et son tee-shirt vient rejoindre celui de Tom à mes pieds.

Je ne suis pas pressé de devoir me planquer à nouveau au QG à servir de portier planté comme une potiche toute la journée. Mais nous passons tous par-là, il faut bien rester utile, même quand nous ne pouvons pas sortir.

Si je ne merde pas ma prochaine mission, je n'ai pas à m'en faire, donc je me concentre sur le duel.

Tade tourne autour de Tom. Ils ne se connaissent pas et j'espère que mon élève ne me fera pas honte, car malgré son âge Tade est redoutable. Il le prouve en prenant son adversaire de vitesse. Avec une main, il saisit la gorge de Tom et il lui balaie les jambes accompagnant son corps au sol dans un bruit mat.

Pour avoir déjà goûté à cette chute, je sais que les hoquets de Tom ne sont pas feints. Il a le souffle coupé et Tade en profite pour l'immobiliser.

Leçon d'humiliation typique de Tade. Il a besoin d'asseoir son statut.

— Si j'en avais eu envie, tu serais mort.

Il se redresse et aide Tom pour qu'ils se repositionnent face à face.

Tom ne se refait pas surprendre, mais il est trop sur la défensive et ne tente pas grand-chose. Tade arrive à le faire transpirer, je suis certain qu'il ne s'entendait pas être autant dominé. Il a les avant-bras rouges à force de parer, sa peau doit le cuire, il a le dos dans le même état. Il a peur de s'en manger une. Tade cogne fort et il est capable de sécher un adversaire en deux ou trois frappes. Tom l'a compris et ne prend pas de risques, sauf qu'il va finir par se laisser submerger.

— Tom ! Attaque, tu te fais bouffer ! dis-je pour le motiver.

Mon apprenti tente de tromper Tade, mais ce n'est pas assez imaginatif et il est cueilli par une droite qui le fait s'asseoir avec un air perdu, c'est risible.

— Allez ! l'encourage Tade.

Il se relève et finit par montrer ce dont il est réellement capable, à croire qu'il avait besoin de se faire sonner les cloches.

Il esquive et contre-attaque, il a trouvé la faiblesse de son adversaire. Elle est évidente quand on y prête attention. Tade a toujours un temps de latence entre ses frappes et le moment où il retrouve sa garde, il suffit de se calquer sur son rythme pour impacter quand il faut.

Je ne peux retenir le sourire qui relève un coin de ma bouche en voyant Tade qui recule et peine à esquiver. Tom prend le dessus du combat, il copie même certains de mes coups de pied aériens. À la moue désapprobatrice de Tade, je ne peux qu'en être plus ravi. Il a toujours détesté ma manie de mener les affrontements en hauteur.

Ils sont presque contre un mur, Tade n'a pas le choix, il parvient à bloquer le bras de Tom et lui fait une clef, mais il a quand même dû se manger le coup pour y arriver.

— C'est bon, j'ai vu ce que je voulais voir. T'es un peu long à la détente, ce qui n'est pas bien différent de Kale, mais tu sais te défendre.

Je ne relève pas la pique. Je sais que Tade ménage aussi son égo, il déteste ne pas avoir le dessus.

Tom n'aura pas droit à plus de compliments, il est renvoyé comme un malpropre en sueur et certainement avec la peau en feu.

Sur le retour, j'ai demandé à Tom de m'accompagner chez moi. Nous pourrions aller chez lui, mais grimper son mur de la mort ne m'enchante pas des masses. Tout le trajet nous sommes demeurés silencieux, je préfère que nous soyons seuls pour planifier la suite. On n'est jamais trop prudent.

Je n'ai pas fini de scruter chaque coin de mon loft pour vérifier l'absence d'intrusion que Tom est déjà à poil et se rend sous la douche.

— Putain, tu aurais pu me demander, bougonné-je.

— Mec, tu vas mettre dix ans à vérifier chaque recoin. J'aurais terminé avant que tu ne sois rassuré.

— Toujours dans l'exagération, hein.

Je détourne les yeux et m'occupe en cuisinant. Les moments de nudités sont de plus en plus gênants. J'ai toujours peur d'être pris en flagrant délit en le matant. Je lance de l'eau à bouillir pour faire infuser des restes de plantes médicinales. Après les coups que Tom a encaissés, elles ne lui feront pas de mal. Surtout que j'ai besoin qu'il soit en forme.

Il termine de faire à manger en buvant la décoction le temps que je prenne sa place sous l'eau chaude. Tout semble plus le fasciner que moi nu. Depuis qu'il couche avec Jun, c'est le cas. Avant, il me reluquait parfois, mais je me suis certainement mépris sur les raisons. De toute façon, ce n'est pas comme si lui plaire m'intéressait.

Nous accompagnons le repas d'un peu d'eau-de-vie et j'explique à Tom que je compte sur lui pour découvrir ce que les Oubliés et les Nourriciers trafiquent. Sans surprise, il ne proteste pas et accepte de venir m'aider volontiers. Notre seul avantage, c'est que nous pourrons traîner au Hangar sans avoir l'air suspects. C'est le club des clans diurnes. Il y a de l'alcool et de la bouffe cuisinée à consommer sur place. Un peu de musique aussi et forcément quelques clans nocturnes qui viennent dealer leur drogue, mais c'est relativement moins craignos que les boîtes des nocturnes.

Le lieu est proche des fermes hydroponiques terrestres et je suis sûr que je dénicherais plus facilement des informations dans le Hangar que près des serres où les mecs se demanderaient ce que je trafique, même avec la clef visible.

Tom adhère à mon plan et une part de moi est rassérénée à l'idée qu'il sera là. Il y aura Jun en plus. À nous trois nous trouverons le fin mot de cette sombre histoire.

Au-delà de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant