Le Royaume de Nelda

Chapitre 1

Je passais une nouvelle fois la main sur ma robe bleu nuit quand la porte de ma chambre s'ouvrit. Mes yeux croisèrent ceux de ma mère dans le miroir en face de moi. Dans son regard se reflétait un mélange de fierté et d'amour.

-Tu es magnifique, dit ma mère avec émotion.

Une nouvelle fois, je scrutai mon reflet ; oui, j'aimais l'image que je me renvoyais dans la glace. La robe bleue tombait parfaitement sur mes épaules dénudées laissant apparaître ma peau pâle. Elle soulignait ma taille et la dentelle dans mon dos rendait le tout encore plus éblouissant. La jupe s'étalait autour de moi en couches de tulles d'un bleu profond. Je tournai sur moi même et la robe suivit le mouvement. C'est ce que j'aimais temps dans le tissue vivant dont elle était composée, il donnait l'impression d'appréhender mes gestes. Je souris à mon reflet, une fossette se creusa sur ma joue gauche. Mes cheveux descendaient parfaitement en cascades ondulées sur mes épaules. D'un brun foncé ils faisaient ressortir ma peau de porcelaine avec grâce. Ma robe rappelait le bleu clair de mes yeux rehaussé par mes longs cils noirs. Une touche désagréable au tableau : ces petites taches qui constellaient ma peau sur mon nez et mes joues.

-Tu es prête ?

Je reconcentrai mon regard sur ma mère. Non, je n'étais pas prête. Mais avais-je réellement le choix ? La jolie femme brune derrière moi avait beau m'avoir répété des tas de fois qu'il n'y avait que très peu chance que je sois sélectionnée, je ne pouvais m'empêcher de m'imaginer le pire.

-Oui.

Je chaussai mes escarpins et la rejoignis tout en jetant un dernier regard dans la glace. Nous descendîmes ensemble les escaliers en bois et sortîmes de la maison.

-Père et Eloïs ne viennent pas avec nous ?

-Ils sont déjà sur place.

Nous avançâmes dans la rue et une calèche s'arrêta devant nous, notre cocher, un petit homme des montagnes loingtaines, nous ouvrit la porte et nous nous installâmes à l'intérieur. Ce fut avec plaisir que je m'assis sur les sièges de cuir si délicieusement confortables. Le trajet jusqu'au palais royal mit plus de temps que d'habitude. Il était moins facile de se frayer un passage dans les étroites rues pavées. Par la vitre je pouvais observer les navires volants arriver au port aérien de la ville. Un magnifique voilier tiré par une dizaine de griffons aux ailes puissantes était en train de décharger ses passagers. De loin je pouvais admirer à volonté les robes et les costumes de ces gens des autres îles.

On venait nombreux pour assister à la sélection des Candidates pour le prince. A vrai dire je ne comprenais pas pourquoi on les appelait les Candidates, elles n'avaient pas le choix de participer à ce dur périple suite au choix de la Coupe. Beaucoup disait que c'était un énorme privilège, moi ça me terrifiait. J'aurais pu échapper à cette cérémonie, la sélection des jeunes filles ne se faisaient qu'entre dix-huit et vingt ans. Les candidates auraient dû être choisies voilà deux ans, seulement le prince avait retardé l'échéance. Au lieu de se marier à dix-huit ans comme le voulait la loi, il avait décidé de se marier à vingt ans. Si bien que j'étais sur l'année de mes dix-huit ans et que mon nom avait donc été ajouté à la coupe. Cependant, mes chances de faire partie des candidates étaient infimes. Nous étions plus de dix-milles filles à avoir notre nom dans la coupe et seul cent en sortiraient aujourd'hui.

-Cesses donc de te mordre la lèvre ainsi.

Je m'aperçu de mon geste quand elle me le dit et lâchai ma pression. Je ne voulais pas faire partie de ces candidates, le périple de six mois qu'elles effectuaient était souvent raconté par les Anciens et ça ne me donnait jamais envie d'y participer. Il était souvent question de morts, d'épreuves et de périples éprouvants. Les candidates disparaissaient pendant plusieurs mois sans voir leur famille, on n'entendait plus parler d'elles et elles ne revenaient parfois jamais, avec pour compensation pour leur famille une faible somme d'argent. Mais celles qui revenaient n'étaient plus complètement elles-mêmes, changées à jamais par cette aventure. Les rares femmes ayant participées à la dernière sélection qui étaient toujours vivantes et se trouvaient encore sur l'Île Centrale n'évoquaient jamais le sujet et personne n'osait en parler devant elles tant leurs regards hantés étaient terrifiants.