17. Le village au ciel de pierre

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« Grand-mère ? » Je n'eus pas le temps de réagir. Sur un signe de tête de la Mère des forêts, Ako la katsewa nous força, Kila et moi, à nous relever. Sa grand-mère ? Je jetai un regard plein d'incompréhension à la fille du loup. Kila était apparentée à – comment s'appelait-elle déjà ? – Eo'ma Nahri, le chef du clan qotsai... Je fronçai les sourcils. Mais pourquoi ne m'avait-elle rien dit ? J'insistai silencieusement du regard, mais Kila fuyait le mien. Elle avait donc été bannie de son clan par son propre sang ? Je mourrais d'envie de la questionner sur ce que je venais d'apprendre, mais Ako nous empoigna par le col et nous entraîna brusquement hors de la tente du conseil. Et alors que ma vue s'habituait à l'étrange luminosité qui régnait ici bas, j'oubliai toutes mes questions. Un village entier s'étalait sous mes yeux ébahis : je vis plusieurs qotsais s'arrêter à ma vue et à celle de Kila, le visage empreint d'une curiosité non feinte. Ils portaient tous, hommes comme femmes, une tunique brune similaire à celle que portait Meori ou encore Kila, le jour de notre rencontre. Mais pas les enfants. Ceux-ci couraient nus sur le sable blanc. Un petit garçon glissa et se blessa au genou alors qu'il se tordait le cou pour mieux nous voir. Ses pleurs attirèrent une petite fille aussi nue que lui qui l'aida à se relever. Puis je vis le ciel.

Ou plutôt l'absence de ciel.

Nous nous trouvions dans une gigantesque caverne dont les parois au-dessus et autour de nous brillaient de mille feux. Ako dut me pousser pour me rappeler d'avancer. Je m'exécutai sans m'en rendre compte: j'étais captivée par les pierres réfléchissantes qui scintillaient tout là-haut. Un véritable ciel étoilé sous terre... Le village qotsai était caché dans les profondeurs de la vallée. Nous étions sous la vallée. Une cachette idéale ! Au loin, j'aperçus des reflets de couleur turquoise onduler sur l'une des parois. Telle était l'origine de l'étrange luminosité de la caverne. Mais je dus détacher mes yeux des parois scintillantes, car Ako nous emmenait poussait sans arrêt à avancer. Nous marchions sur un sol fait de terre et de sable blanc qui se mua bientôt en un chemin de galets bleus et violets : je m'aperçus rapidement que ces chemins de galets serpentaient partout à travers le village, comme des rues naturelles. De petites habitations se dressaient ici et là, et cette fois, je ne pus m'empêcher de m'arrêter pour les contempler: de forme ronde, les habitations étaient de tailles diverses, allant d'une hauteur de plusieurs étages à celle plus modeste de quelques mètres au-dessus du sol. Les murs, de couleur brune, présentaient d'étranges aspérités qui donnaient l'impression d'un hérisson enroulé sur lui-même. Kila me poussa discrètement d'un mouvement de l'épaule et je me remis en marche. Toutes les habitations possédaient un toit plat. Deux hommes qotsais se prélassaient sur l'un d'entre eux, ils se redressèrent précipitamment pour s'approcher du bord lorsque nous passâmes près d'eux. Au second croisement, Ako nous fit prendre une autre "rue". Je levai alors les yeux vers l'un des nombreux troncs de bouleaux nus plantés à travers tout le village : il était surmonté d'une coque de verre transparente dans laquelle brillait une pierre qui diffusait de la lumière. Je reconnus celle que j'avais aperçue dans ma prison. Soudain, nous nous arrêtâmes devant l'une des étranges maisons aux murs pourvus d'épines. Ako tira sur une cordelette située en hauteur, juste sous le toit : une natte végétale que je n'avais pas vue se déroula, révélant l'entrée de la maison.

— Entrer. Propre. Dormir. Demain dur.

Ce fut les seuls mots que nous adressa la katsewa avant de nous laisser sur le pas de la « porte ». Bouche bée, je suivis Ako du regard sans même songer à m'enfuir : mon esprit tentait encore d'assimiler tout ce qu'il recevait. De toute évidence, Kila n'y songeait pas non plus, car la kivari du loup entra dans la maison sans demander son reste. Je l'y suivis. Une fois à l'intérieur, j'observai avec curiosité les murs de l'étrange maison démunie de tout mobilier. Légèrement roses, parsemés de stries comme s'ils avaient été polis par un outil muni de dents, mais dépourvus de pics cependant. L'intérieur était vide mais accueillant, il y régnait une agréable chaleur qui devait en partie émaner de la cavité circulaire creusée à même le sol, au centre de la pièce : une étendue d'eau turquoise fumante. À quelques pas de moi, Kila enleva son blouson, puis ce fut le tour de son t-shirt à manches courtes et rapidement, la kanash fut nue. Gênée par notre nudité soudaine, je détournai le regard avant de fixer la kivari du loup de nouveau : son corps me provoquait parfois quelques complexes, car je ne possédais ni sa taille élancée, ni ses formes de femme. Kila surprit mon regard.

Esh-Kirith #2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant