Je manipulai la pierre avec prudence. Elle provenait du nawari ; étant donné que je me méfiais de lui, l'objet ne m'inspirait aucune confiance. Kila en revanche s'embarrassait beaucoup moins. Elle prit la pierre et la retourna dans tous les sens. De forme ovale, ce n'était à première vue qu'un fragment de pierre bleu marine aux aspérités coupantes si on s'en emparait sans précaution. Une simple pierre semblable à toutes celles que l'on pouvait bien trouver dans la forêt :
— Perdre des grains-de-soleil pour se retrouver avec un caillou. Tu parles d'un marché ! pestai-je.
Kila sourit. Notre rencontre avec le nawari ne l'avait pas perturbée outre mesure.
— Calme-toi. Il n'y avait pas d'autres solutions que de les lui donner, c'est ce que les nawaris mangent.
— Comment tu sais ça ?
— Ma mère me racontait les histoires de notre clan lorsque j'étais enfant. Comme tous les jeunes la'nais, je n'ai pas échappé à la légende du nawari.
— Qu'est-ce que c'est au juste, un nawari ?J'eus beau chercher, je ne parvins pas à trouver de traduction acceptable pour la matsii que j'étais.
— C'est un esprit engendré par la forêt, expliqua Kila en caressant la pierre marine avec soin. Sa particularité est de perdre les chasseurs et les voyageurs imprudents en forêt en les menant sur une fausse piste.
— Sympa !
— On les reconnaît à leurs yeux de couleur différente, continua Kila. Mais surtout à leurs pieds, détail qui ne t'a sûrement pas échappé. C'est grâce à ça qu'ils égarent les voyageurs malchanceux qui suivent leurs pas.
— J'aurais préféré que tu m'en parles avant que l'on suive sa trace.
— J'ignorais que nous allions tomber sur un nawari, se défendit la kanash. Pour tout te dire, je n'imaginais même pas qu'ils existent.Je lui repris la pierre. Je ne m'attendais pas à résoudre l'énigme laissée par le nawari, mais il fallait que je m'occupe l'esprit d'une manière ou d'une autre.
— Tu proviens d'un peuple qui vit dans une caverne souterraine cachée par une forêt magique, sans oublier les pouvoirs octroyés par les kamis, et tu n'imaginais pas que les nawaris puissent exister ?
— J'étais enfant lorsque ma mère me racontait ces histoires, protesta Kila. Bien sûr que j'y croyais ! Mais en grandissant... Je pensais qu'il s'agissait d'un conte bon à tenir les enfants éloignés de la forêt. C'est pareil pour toi, non ? Tu ne vas pas me dire que tu crois encore à la petite souris ?
— Je n'y ai jamais cru, j'ai toujours su qu'elle n'existait pas.
— C'est ce que te répondraient la plupart des matsiis si tu leur parlais des nawaris. Et pourtant, ils existent.Elle s'empara de la pierre marine avec un sourire triomphal. Je détestais lui concéder la partie, mais quand ses arguments portaient davantage que les miens...
— Bon, et qu'est-ce qu'on va faire de ce caillou ? repris-je avec une mauvaise foi feinte.
— Exactement ce que le nawari nous a indiqué : on va le garder, on lui posera une question quand le moment sera venu.
— C'est-à-dire ? Comment saurons-nous qu'il s'agit du bon moment ?La kanash haussa les épaules et se massa l'arrière du crâne.
— Je n'en sais rien, avoua-t-elle. J'imagine qu'on le sentira d'une manière ou d'une autre ?
— Je ne sais pas pour toi, mais j'en ai ras le bol des indications énigmatiques. Ce serait trop demander que de nous expliquer clairement l'endroit où nous devons aller et ce qu'il faudrait y faire pour une fois ? Bien sûr que oui. C'est tellement plus drôle de nous faire galérer dans la forêt pendant des jours, de nous forcer à manger du poisson séché et d'être obligées de macérer dans des vêtements sales !À la fin de mon monologue, nous explosâmes de rire. Il n'y avait aucune raison à cela, ce que j'exposais était parfaitement logique et dépeignait notre situation. Mais l'esprit humain décompressait de manière étrange parfois, et ce dans les moments les plus incongrus. Notre détente fut temporaire toutefois : des buissons s'agitaient derrière Kila, nous obligeant à retrouver rapidement notre sérieux. Mais ce n'était qu'Ako. La guerrière qotsai émergea des buissons, échevelée et haletante. Kila glissa immédiatement la pierre dans l'une de ses poches. En voyant les traits durcis d'Ako, je compris très vite qu'elle était en colère et me rapprochai par réflexe de Kila. Non que cela changea quoi que ce soit, car Ako fût sur moi en deux enjambées.
VOUS LISEZ
Esh-Kirith #2
FantasyEden et Kila partent à la rencontre du clan qotsai pour combattre la mystérieuse malédiction qui s'est abattue sur Havenly. *** Eden est devenue une kivari de la vallée. Mais alors qu'elle approche de son dix-septième anniversaire, une étrange malé...