34. Une prière au fond des cieux

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Mes membres étaient endoloris. Il me fallut un moment pour comprendre que j'étais toujours en vie. Je rassemblai peu à peu les éléments dont je me souvenais : le volcan gelé, les kamis suspendus, l'amulette cristallisée, Meori... Avec lenteur, je me dressai sur un coude. Je ne pus m'empêcher de grimacer de douleur lorsque je bougeai. Et pour cause, j'avais le bras en écharpe. Nous nous étions battues contre le monstre du lac. Il avait fait chavirer notre barque, j'avais percuté des rochers sous l'eau.

Je bougeai le bras avec précaution. Douloureux mais tolérable. Je me remémorai les derniers instants dont je me rappelais avec précision. Là où les kamis flottaient... Il y avait eu une lumière d'azur très intense qui avait tout absorbé, suivie d'une énorme explosion. Je levai la main avec empressement : l'anneau s'y trouvait toujours. Mais je ne percevais plus la présence de mon loup. J'observai les environs ; je me trouvais à l'air libre, c'était de la terre et de l'herbe fraîche que je sentais sous mes pieds nus. J'avais repris connaissance dans une forêt ; il faisait nuit, en attestaient les étoiles dans le ciel dépourvu de nuages. Le vent de la nuit souffla une légère brise qui ne m'apaisa en rien : comment avais-je bien pu atterrir ici ? Quelque chose remua dans les buissons derrière moi.

— Kila ?

Ce fut une Eden échevelée qui émergea à quatre pattes des buissons. Elle avait de la terre sur le visage ainsi que sur les mains, et sa tunique était déchirée au niveau de la taille, mais elle ne semblait pas blessée.

— Par ici ! Rien de cassé ?
— Ça va. Et toi ?

Je hochai de la tête, lui expliquai que mon bras me faisait encore mal mais que je pouvais le supporter. Nous nous redressâmes toutes les deux.

— Où sommes-nous ? demanda la kivari du chat. Nous étions dans le volcan. Je me souviens aussi des kamis. Et l'instant d'après...

Je l'interrompis d'un geste au moment où notre regard tomba sur la lueur qui émanait des fourrés, quelques pas plus loin. Nous la suivîmes afin d'en trouver la source, et nous arrivâmes ainsi auprès d'une grotte. À l'entrée, marquée par un rideau de branches et de feuillages, brûlait un feu de camp. C'était sa lumière qui nous avait guidées jusqu'ici. Un repas mijotait dans un pot en terre cuite suspendu au-dessus du feu.
Je remarquai la présence de deux peaux de bêtes autour du feu. Deux personnes vivaient donc ici. Je fis un signe de tête rapide à Eden et nous nous dissimulâmes derrière un buisson. Peu de temps après, une petite fille émergea de la grotte, vêtue d'une tunique en tishiri similaire en tous points aux nôtres, à ceci près qu'elle s'arrêtait au niveau de sa petite taille. La petite fille leva la tête et fit semblant d'attraper les étoiles. Mon cœur battit à vive allure. Je connaissais cette enfant.

— Mais c'est... souffla la kivari du chat.
— Naleh, la'nai.

C'était la voix d'une jeune femme, âgée d'une vingtaine d'années tout au plus, qui venait de résonner depuis l'intérieur de la grotte. La force me manqua lorsqu'elle apparut, aussi intacte que dans mes souvenirs. Ses cheveux d'un noir de jais étaient tressés en une longue natte qui courait le long de son dos, à la manière des chefs de clan qotsais. Elle possédait un regard d'azur identique à celui de la Mère des Forêts, la même mâchoire, le même menton. Les mêmes lèvres rosées que moi.

— Keesi-ma ! s'exclama la petite aux yeux d'un bleu plus foncé lorsque ma mère arriva à sa hauteur.

Elle lui sauta dans les bras. Ma mère la couvrit de baisers, tant et si bien que la petite finit par demander grâce en riant. Ma mère l'installa ensuite sur l'une des deux peaux de bête et se mit à touiller le contenu du pot en terre cuite. La petite fille s'amusait avec des morceaux de bois sculpté. L'un d'entre eux, taillé de manière grossière, ressemblait à un lion. C'était un homme muni d'une coiffe que ma mère avait tenté de sculpter, mais mes yeux d'enfant en avaient fait un roi des forêts.

Esh-Kirith #2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant