25. Iqitans

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Trois jours passèrent sans incident majeur. Le cas de Eo'da Seti ne revint pas dans la discussion, tout simplement car il n'y en avait aucune. Ako marchait et nous la suivions en silence. Le soir, nous nous arrêtions pour établir un campement sommaire, nous restaurer et dormir. Le lendemain, tout recommençait : remballer nos couvertures, ranger nos vivres dans nos sacs, éteindre le feu et repartir. En milieu de journée, chacune disposait de sa part pour manger, mais sans s'arrêter toutefois, car il fallait avancer sans perdre de temps.

Ako nous servait de guide, bien qu'elle ne consultait aucune carte. À la manière dont elle levait la tête vers le ciel cependant, je finis par comprendre que la guerrière kanash s'orientait grâce à la position du soleil et qu'elle suivait probablement un cap bien défini. Le premier jour, l'émerveillement m'empêcha de réfléchir pleinement ; les plantes qui poussaient au sol ou à même le tronc des arbres brandissaient fièrement leurs bourgeons, les fleurs aux couleurs vives scintillaient comme des étoiles végétales au bout de leurs ciels terrestres, le tout formant une osmose unie par le zhan.

La magie qui se déployait dans la forêt me subjuguait. Mais si la forêt se livrait dans une harmonie de couleurs et de sensations, les trois humaines qui la parcouraient restaient murées dans un mutisme hermétique que je ne comprenais pas. Le silence qui régnait entre nous finit par saper notre moral. De fait, nous ne faisions rien d'autre que de suivre bêtement les pas de la guerrière kanash sans échange autre que des directions cardinales. J'avais donc tout le loisir de réfléchir et d'intégrer tout ce qui s'était produit depuis que nous avions quitté Havenly. D'abord la brume et le coma qui s'étaient abattus sur la ville, puis le conseil qui nous avait jugées dans le village de Zhan'Tsi-la, et je n'oubliais pas non plus les révélations à propos du passé de Kila.

— Attendez ! ordonna Ako en levant la main.

Lorsqu'elle hésitait sur la route à suivre, ou qu'elle préférait s'assurer que la voie était libre, Ako nous demandait de rester sur place et de l'attendre. Elle s'éloignait alors et l'instant de son retour pouvait varier : la guerrière kanash pouvait très bien revenir dans la minute comme nous faire attendre bien plus longtemps. Je profitai de sa phase d'éclaireur, comme l'appelait Kila, pour parler à tête reposée avec la kanash : « Ta grand-mère et ton frère... amorçai-je avec précaution. Qu'est-ce qu'ils te reprochent exactement ?
— D'avoir tué ma mère. », répondit-elle de but en blanc.

J'accusai la réponse brusque de la kivari du loup. Cela n'avait aucun sens. Comment Eo'ma Nahri avait-elle pu lui faire un tel reproche ? Sa fille était en vie le jour de son exil, exil qu'elle avait elle-même déclaré. Je posai aussitôt la question à Kila qui me répondit sans tergiverser :

— Elle a raison. Après tout, c'est ma naissance qui a signé sa mort.

Devant mon incompréhension, la kanash ajouta:

— Tu as dû remarquer que ma peau n'était pas aussi pâle que celles des autres qotsais, n'est-ce pas ? Tout comme la couleur de mes yeux. Tu as bien vu que j'étais différente, même de mon frère.

Oui, j'avais bien relevé tous ces détails. À l'occasion de notre séjour à Zhan-Tsi'la, j'avais pu observer ces légères différences entre Kila et les qotsais du village. Légères mais perceptibles.

— C'est parce que Sorake et moi n'avons que notre mère en commun, expliqua-t-elle avec un sourire forcé.
— Ta mère a été exilée à cause d'un adultère ?

La kanash secoua lentement la tête.

— Les qotsais ne font pas attention à ce genre de considérations. Si mon père avait été du village, j'y serais encore à l'heure actuelle. Et ma mère aussi.
— Mais d'où venait ton père alors, il était esh-kirith ?
— Je n'en sais rien. Et je t'avoue que je m'en fiche.

Esh-Kirith #2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant