22. Le départ

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— Eden la sans-kami et Kila su-kirith devront quitter Zhan-Tsi'la ce soir, annonça Eo'da Puyai d'une voix forte afin que tous entendent.

Derrière lui, le shadan à la peau de serpent souriait d'un air ravi. Quant à celui qui portait une fourrure de bison sur les épaules, il demeurait immobile, les yeux clos. Ses jambes maigres dépassaient de sa tunique, elles étaient si minces qu'elles rivalisaient presque d'épaisseur avec le bâton sur lequel il s'appuyait. Eo'da Seti n'était pas présent, malgré la colère que j'éprouvais envers lui, son absence me peina. Les qotsais accueillirent l'annonce du shadan avec des murmures si bas que je n'en perçus pas la teneur. Je parcourus la foule du regard : Sorake avait disparu. Après sa salve acide, le qotsai s'était éloigné sans se retourner, ne nous laissant même pas l'opportunité de riposter. Quant à Kila...

— Par où passerons-nous ? demanda la kanash en relevant soudainement la tête.

Son visage n'exprimait rien d'autre qu'une franche résolution, comme si rien ne s'était produit. Je cherchai à déceler la moindre trace de fragilité chez la kanash, en vain : son masque, aussi dur que celui qui pendouillait à la ceinture d'Ako, s'était appliqué sur son visage sans rien laisser transparaître de ce qui pouvait bien se tramer en-dessous. Sa grand-mère, Sorake, sa mère, leur exil du clan qotsai... L'histoire de Kila était tout sauf simple, et je ne désirais rien de mieux que de pouvoir en parler avec elle, mais comme l'avait souligné la guerrière qotsai, ce n'était ni le lieu, ni le moment. Plus tard, lorsque nous serions seules...

— Vous suivrez Ako. Elle part avec vous, poursuivit Eo'da Puyai en anéantissant mes espoirs d'une seule phrase.
— Quoi ? m'entendis-je protester malgré moi. Mais comment...
— L'esh-kirith écoute lorsqu'un père des forêts s'exprime ! gronda le shadan à la peau de serpent.

Je grommelai silencieusement. Au diable nos conversations intimes si la guerrière kanash nous collait aux basques du matin au soir...

— J'accomplirai mon devoir jusqu'au bout, ajouta-t-elle en s'inclinant respectueusement devant les shadans.

Puis elle nous fit signe, à Kila et moi, de la suivre. Les murmures de la foule s'estompèrent au fur et à mesure que nous nous éloignions du village. Je n'avais pas pris la peine de faire mes adieux, bien qu'Okori er sa famille furent les seuls qotsais avec lesquels j'eus passé un temps considérable. Je me surpris à regretter de n'avoir pas pris le temps de demander leurs noms à ces deux femmes qotsais qui m'avaient laissée observer leur technique de tissage de lanières en tishiri.  Et comment s'appelaient ces trois la'nais qui nous suivaient sans cesse dès qu'ils nous apercevaient dans le village...

— Dépêchez-vous, intima Ako d'un ton bref.

La guerrière qotsai nous emmenait d'un pas vif et décidé. Autour de nous, les pierres de zhan brillaient de milles feux sur les parois de la caverne. De temps à autre, je me retournais pour constater la même vision au loin : une foule indistincte d'hommes et de femmes qui se réduisait à mesure que nous avancions. À un moment donné, je crus reconnaître la silhouette de Sorake parmi la foule. Mais nous étions déjà trop loin pour je puisse m'en assurer.

— Plus vite ! pressa la combattante qotsai d'un ton agacé tandis que je tardais à les rattraper.

Je me dépêchai de revenir à leur hauteur. Nous marchâmes durant de longues minutes le long de sentiers de sable blanc bordés de galets violacés. Petit à petit, les coques de verres lumineuses s'espaçaient, nous fournissant moins de lumière à mesure que nous avançions. Lorsque je me tournai pour la dernière fois, mue par un désir involontaire de faire mes adieux personnels à Zhan-Tsi'la, la foule et les contours du village avaient disparu depuis bien longtemps.

Esh-Kirith #2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant