Esh-Kirith #2

18. Un petit rayon de lune

La natte végétale se délia soudainement. Une femme venait de pénétrer dans la salle d'eau ; je couvris mon corps de mes bras avec embarras, tâchant de me dissimuler à son regard, mais la qotsai ne m'accordait aucune attention. Elle déposa deux tuniques brunes près de nous et quitta l'édifice dont j'apprendrais bientôt le terme kanash. Kila se redressa brusquement, l'eau ruisselant sur son corps nu. Je compris que la discussion était close pour aujourd'hui. Je l'imitai et tâchai d'enfiler la tunique qotsai. Dès le premier contact, je sus qu'elle était confectionnée à l'aide d'un textile différent de tout ce que je connaissais : à la fois doux et résistant, il procurait de la chaleur et de la fraîcheur et épousait le corps comme une seconde peau.

— C'est du tishiri, expliqua Kila tandis qu'elle achevait d'ajuster la tunique à sa taille. C'est un tissu spécial qui ne se fabrique qu'à Zhan-Tsi'la. Avec ça tu n'auras jamais ni chaud, ni froid.

Comme ton humeur actuelle... pensai-je intérieurement. Je gardai toutefois mes pensées pour moi. Je commençais à m'habituer aux brusques changements d'humeur qui survenaient chez la kanash. Généralement, ceux-ci apparaissaient lorsqu'il était question de sa mère, de Meori ou plus généralement des qotsais. Tels étaient les trois sujets sensibles que j'effleurais toujours avec précaution. La natte végétale se releva de nouveau, mais j'étais désormais entièrement vêtue cette fois-ci. Un jeune garçon était entré dans la pièce. Il était torse nu et pieds nus, il portait cependant des bas bruns visiblement confectionnés en tishiri. Son bras gauche était chargé de bracelets divers qui tintaient à chaque mouvement qu'il faisait. Au premier coup d'œil, on le devinait jovial et de nature ouverte. Sa physionomie était typique de celle des qotsais, les mêmes cheveux noirs, les mêmes yeux d'azur et la même peau pâle. Je comprenais mieux pourquoi désormais : s'ils vivaient sous terre, les qotsais ne devaient pratiquement jamais voir la lumière du soleil. Il devait être âgé d'une douzaine d'années tout au plus. À la vue de Kila, le garçon accourut en ouvrant grand les bras.

— Aki'nai ! s'écria-t-il avec un large sourire.
— Ekumani ! répondit la kanash sur un ton empreint de tendresse. Comment vas-tu ?

Elle le connaissait. Ils semblaient même assez proches, à sa façon de s'accrocher au cou de Kila et à la sienne de lui passer la main dans les cheveux. Il était pourtant plus jeune que nous. Je l'observai avec plus d'attention. Quelque chose au niveau de ses traits... La forme de sa mâchoire, son nez peut-être ?

— Okori, fit-il en se désignant de la main. Heureux de rencontrer Eden !

À ma grande surprise, le garçon sauta dans mes bras pour m'enlacer tout comme il l'avait fait pour Kila. Je jetai un regard perplexe à cette dernière mais me laissai faire néanmoins ; il n'était pas question de fâcher les habitants de ce village dont j'ignorais encore les coutumes.

— Enchantée, Okori... balbutiai-je sans trop savoir quoi dire.

J'étais ignorante des formules de politesse qotsais. Je ne savais même pas si la langue kanash en contenait. Mais Okori ne s'en souciait pas le moins du monde.

— Viens, dit-il précipitamment en me prenant la main. Eden chez moi, sinon tu as la faim.

En effet, mon estomac criait famine depuis... Depuis combien de temps exactement ? Je n'eus pas le temps d'y réfléchir, le jeune qotsai me tirait déjà vers l'avant. Avec un sourire, Kila haussa les épaules et je compris qu'il était vain de résister. Okori nous fit traverser le village à un rythme effréné, je n'avais le temps de m'arrêter sur rien et les galets me rentraient dans la plante des pieds. Contrairement à lui, je n'étais pas habituée à courir partout pieds nus. Le garçon nous mena jusqu'à un édifice en tout point semblable aux autres, avec ces étranges pics bruns qui se hérissaient sur les murs extérieurs. La natte végétale était relevée, une chaude lumière ainsi qu'un agréable fumet émanaient de l'intérieur.