Un silence anormal nous entourait. Nos pieds foulaient la brume spectrale qui flottait à travers toute la ville. La présence de Kila me rassurait énormément. Sans elle, je n'aurais peut-être pas osé braver l'épaisse brume fantomatique. J'attendis quelques instants, certaine d'entendre la réplique cinglante retentir depuis les affres de mon esprit. Mais rien ne vînt. Depuis que ma kahr s'était embrasée pour s'effacer sur ma peau, le svarai du chat semblait s'être retranché dans un mutisme obtus.
— La brume ne s'est pas dissipée...
Le murmure de Kila brisa le silence de mort qui planait autour de nous. Entourée par le brouillard, nous n'y voyions pas à plus de dix mètres devant nous. Heureusement, nous connaissions le chemin qui menait vers le pont par cœur : après l'arrêt Mulberry, continuer tout droit en longeant les champs de blé du vieux Mc Millan jusqu'au croisement. Ensuite, il suffisait simplement de traverser pour rejoindre l'un des ponts qui enjambaient la rivière et qui reliaient Havenly à la vallée. Je ramenai mes bras contre mes épaules. Il ne faisait pas froid. Il semblait au contraire qu'une chaleur émanait de la chaussée. Kila effleura mon épaule, me procurant un autre type de chaleur dont j'avais pour le coup besoin.
— On arrive bientôt, m'informa la kanash.
Nous nous étions mises en route dans l'après-midi seulement, principalement en raison du sommeil de plomb qui s'était abattu sur moi après l'embrasement de ma kahr. J'avais dormi beaucoup plus longtemps que prévu. Préférant me laisser récupérer des forces, Kila ne m'avait pas réveillée.
— Les transports en grève, ça va deux minutes : on aurait dû arriver depuis des heures ! plaisantai-je pour tenter de rompre l'atmosphère pesante.
À côté de moi, Kila étouffa un rire que j'entendis tout de même que je partageai dans la foulée.
— Tu manques d'exercice, petit chat. Je peux y remédier si tu veux ? proposa la kanash avec un accès de gaieté qui me remonta temporairement le moral.
Je lui jetai un regard faussement outré. Avec un sourire complice cependant, j'acceptai la bouteille d'eau qu'elle me tendait. La chaleur estivale était pesante. Nous marchions au bord d'une route de campagne peu empruntée. D'ici quelques mètres, les épis de blé et de maïs du vieux Mc Millan apparaîtraient, du moins leurs contours parmi le brouillard, pour nous signifier la proximité de la forêt.
— Tu as encore mal ? demanda doucement la kanash en m'effleurant le dos.
— Ça tire un peu par moments, mais c'est supportable.La mine de Kila s'assombrit légèrement, mais la kanash n'insista pas. D'un côté, elle était soulagée que ma kahr ait disparu ; nous nous rendions sur le territoire des qotsais, et Kila m'avait avertie au sujet du signe que ma kahr portait, le signe de la langue morte : son exposition accidentelle ou forcée aurait signé ma mort, simple et non négociable. Un souci, de taille, en moins. Cependant, la réapparition de celui de Meori sur le kami était inquiétant. Le pli soucieux qui s'invitait sur le front de ma louve se forma. Elle angoissait beaucoup trop pour moi. Je tâchai d'orienter ses pensées ailleurs.
— Tu crois que ma mère va bien ? demandai-je alors qu'une première rangée d'épis blonds se dessinait au loin.
— J'ai lavé les draps et je les ai changés, assura la kanash. Ne t'inquiète pas.
— Non, répondis-je en secouant la tête. Je veux dire... Est-ce que tu crois qu'elle ira bien, toute seule dans sa chambre ? Est-ce que ça peut... revenir ?Kila comprit que je faisais allusion à l'entité qui avait pris possession du corps de ma mère. Durant notre descente de la petite côte qui serpentait le long de la rue Carter, la kivari du loup avait émis l'hypothèse que des esprits kanashs s'étaient manifestés au travers de ma mère. Et visiblement, ils m'avaient délivré un message.
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Esh-Kirith #2
FantasyEden et Kila partent à la rencontre du clan qotsai pour combattre la mystérieuse malédiction qui s'est abattue sur Havenly. *** Eden est devenue une kivari de la vallée. Mais alors qu'elle approche de son dix-septième anniversaire, une étrange malé...