Les rayons de l'aube s'étiolaient à travers la cime du cèdre sous lequel nous avions dormi. Je remontai la couverture en tishiri au niveau de ma poitrine et ne bougeai plus d'un millimètre. Mes poils se hérissèrent au contact du textile, je frissonnai sous la couverture. Il me fallait toujours quelques minutes pour émerger de ces rêves étranges. La sensation était loin d'être aussi désagréable qu'un voyage dans un noy'sat, mais le sentiment de désorientation restait le même. En beaucoup plus accru. Je fermai les yeux pour détendre mon corps. Une main sur le front, allongée sur le dos, j'appréciai la tranquillité matinale de la forêt. Le calme fut vite interrompu par des crépitements très brefs autour du campement.
J'ouvris les yeux sans bouger. De petites lucioles luisant d'un bleu très clair apparaissaient brièvement entre les feuilles, puis disparaissaient aussitôt dans un crépitement d'azur avant de réapparaître plus loin. Je commençais à m'habituer à ce phénomène. En effet, si tant est qu'il soit possible de quantifier le temps dans cet étrange univers, j'avais décompté sept jours depuis que le nawari nous avait laissée la pierre marine. Sept jours à m'éveiller au crépitement matinal des nahuats – le nom kanash de ces lucioles tel que nous l'expliqua Ako – autour de nous. Sept jours que nous avancions en suivant une constellation d'étoiles désignée par la guerrière qotsai, et sept jours que la pierre marine demeurait ce qu'elle était : un simple caillou. Il fallait nous rendre à l'évidence, le moment tant attendu ne venait pas. Je soupirai d'inconfort en silence. Une racine me rentrait dans le dos et ma nuque était parcourue de picotements désagréables ce matin. Ako nous laissait prendre davantage de pauses, comme si l'intervention du nawari avait tout changé, mais hormis une surveillance plus accrue de sa part, je ne voyais aucune différence : soit nous marchions toujours au hasard, en dépit de ce que prétendait la guerrière kanash, soit son itinéraire constellé ne menait nulle part. De plus, nos réserves de vivres commençaient à diminuer.
Au bout du cinquième jour, Ako décréta que nous chasserions désormais pour nous nourrir afin d'économiser nos réserves de mubo séché, et j'en fus ravie : je ne supportais plus de manger la même chose du matin au soir. C'était de plus l'occasion de me changer les idées, car la chasse restait un moment de pure complicité que je partageais avec Kila. À ceci près que la guerrière qotsai ne nous laissait jamais seules. L'unique compagnie dont je pouvais disposer étant la sienne, je choisissais par dépit de toujours de chasser seule. Ou presque. Le svarai du chat profitait toujours de mes sessions de chasse pour se manifester.
Je me redressai en silence, les muscles raidis par un sommeil agité. Je souris en voyant le visage paisible de la kanash qui dormait encore profondément à côté de moi. C'était le bras tendu de Kila que j'avais pris pour une racine. Mon sourire s'effaça vite lorsque j'aperçus Ako qui m'observait, une main sur la garde centrale de son arme aux lames courbes plantée dans la terre. Elle ne s'en séparait décidément jamais. La guerrière qotsai était assise en tailleur près du feu, elle y faisait mijoter un bouillon de plantes jaunes au goût très acide. D'un signe de tête en direction des buissons, je lui fis comprendre que je partais chasser ; son bouillon me provoquait des crampes d'estomac et je n'avais aucune envie de commencer la journée avec un épisode diarrhéique. Elle ne me retint pas. Je cassai la branche d'un buisson en quittant le campement, puis je fis de même avec un buisson semblable plus loin. Je prenais mentalement mes repères afin de retrouver facilement le campement au retour. Il me suffisait sûrement de suivre mes propres traces, mais je préférais prendre mes précautions.
Dis plutôt que tu es si mauvaise que tu serais capable de te perdre à deux pas du campement.
J'effleurai l'amulette par réflexe. Depuis notre rencontre avec le nawari, l'esprit du chat avait subitement retrouvé la parole. Et son talent inégalable pour la pique cinglante.
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Esh-Kirith #2
FantasyEden et Kila partent à la rencontre du clan qotsai pour combattre la mystérieuse malédiction qui s'est abattue sur Havenly. *** Eden est devenue une kivari de la vallée. Mais alors qu'elle approche de son dix-septième anniversaire, une étrange malé...