19. La promesse

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Durant les jours qui suivirent, nous ne fîmes rien d'autre que de visiter le village de Zhan-Tsi'la sous la houlette d'Okori. Le jeune garcon jouissait d'un enthousiasme inépuisable. Sans cesse de bonne humeur et toujours prêt à rendre service, le jeune qotsai était le premier levé et le dernier couché. J'appris rapidement à distinguer le cycle diurne du cycle nocturne de Zhan-Tsi'la en dépit de l'absence du soleil : l'intensité de la lumière contenue dans les coques de verre disposées à travers tout le village variait en fonction du cycle. Elle augmentait progressivement lorsque le jour se levait, elle brillait au plus fort durant les repas de midi et elle faiblissait jusqu'à s'éteindre totalement à l'approche du crépuscule et de la nuit. Je ne parvins pas à savoir si le cycle était de nature totalement artificielle ou s'il suivait la véritable course du soleil. Le soir, nous dormions dans ce qui ressemblait à un sous-sol et dont l'accès se situait sous les pièces adjacentes de la tsuma. Pour y pénétrer, il suffisait de dérouler une natte végétale au niveau du sol. On y descendait le long d'un escalier taillé dans le sol rocailleux de la caverne. Le lit était tout comme la majeure partie du mobilier taillé à même la pierre, dans une large cavité pouvant aisément accueillir quatre ou cinq personnes. D'épaisses couvertures brunes en tishiri emplissaient la cavité.

La première nuit, Okori insista malgré mon refus pour nous laisser y dormir, Kila et moi. Ses parents dormaient quant à eux dans une autre pièce située elle aussi sous la tsuma. Ce soir-là, il dormit avec eux. Certains soirs cependant, Okori ne rentrait pas à la tsuma. Je n'aimais pas ces soirées, car si les parents de Meori restaient accueillants, leur accablement se répandait autour d'eux comme une traînée de poudre nocive qui s'infiltrait par tous les pores disponibles : il était contagieux. Un matin, Okori m'expliqua qu'il était tout à fait normal pour un la'nai – un enfant – de choisir l'endroit où il souhaitait dormir pour la nuit. «Nous sommes tous les enfants de la Mère des forêts. Si tu es de mon clan, ta tsuma est ma tsuma. Nous sommes une famille.», avait-il précisé. Ma compréhension de la langue kanash s'améliora grandement au fil des jours. Mon oreille s'habituait progressivement aux différentes intonations, je ne comprenais pas toujours tous les intervenants avec la même aisance, mais j'étais désormais capable de saisir la majeure partie d'un propos sans le concours d'un tiers. À force de passer tout mon temps avec Okori, j'avais fini par développer une sensibilité plus aiguisée au phrasé kanash, particulièrement celui du jeune garçon. Ainsi, Okori m'apprit que les maisons se construisaient à l'aide d'un mélange de boue séchée et de zhan, et que les pics hérissés étaient dûs aux écoulements de boue qui durcissaient à l'air libre de manière aléatoire en réaction au zhan.

Durant les premiers jours, une étrange escorte nous accompagna à chacune de nos excursions à travers Zhan-Tsi'la : une déléguation de petites filles et de petits garçons, tous dévêtus, nous entourait toutes les fois où nous quittions la tsuma d'Okori, chacun nous observant avec la curiosité naturelle caractéristique des enfants. Sans gêne, ils se massaient autour de Kila et moi, les yeux ronds et la figure perplexe. De nous deux, c'était moi qui suscitais davantage l'étonnement. Je ne pouvais les en blâmer, je devais leur paraître exotique, avec mes cheveux blonds et mes yeux noisette, sans parler de l'horrible accent avec lequel je m'exprimais probablement malgré mes efforts et qui les faisait éclater de rire à chaque fois que j'ouvrais la bouche. Les adultes quant à eux semblaient plutôt nous éviter. Particulièrement Kila. À plusieurs reprises, je surpris des chuchotements sur notre passage, accompagnés de regards peu flatteurs. Kila les ignorait systématiquement, la tête haute et le regard droit. Mais au fond d'elle, la kanash se contenait. Je le sentais à sa manière de contracter ses poings, ou encore à sa façon de serrer les dents sans le montrer. Je n'en parlais jamais : je ne savais que trop bien à quel point un loup ne supportait pas que l'on touche à des blessures qu'il n'avait pas encore léché. De fait, Okori et ses parents paraissaient être les seuls à nous témoigner un minimum de considération, et même davantage pour le jeune qotsai. Il me semblait qu'il se débrouillait toujours pour éviter les rues les plus peuplées, favorisant les espaces isolés pour mieux nous parler du village.

Esh-Kirith #2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant