21. Une vie pour une vie

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La lueur des coques de verre avait grandement diminué depuis notre session de pêche dans le lagon. Assise sur le toit plat de la tsuma d'Okori, je contemplais Zhan-Tsi'la pour la dernière fois. Ses maisons rondes aux murs hérissés, ses rues de galets bleus violacés, ses sentiers de sable blanc, ses lagons aux reflets turquoise... J'imprimai dans ma mémoire le tableau qui se peignait sous mes yeux. De penser qu'un tel endroit pouvait exister sous la vallée... Puis, quelque chose au loin attira mon attention. De petites lucioles qui brillaient d'un bleu extrêmement vif.

— Ce sont les makawés, expliqua gentiment Okori en s'asseyant juste à côté de moi. Regarde.

Il ouvrit la main. Il tenait dans sa paume quelque chose de noir qui brillait du même bleu que les lucioles que j'apercevais plus loin. Il rit cependant lorsque je lui en fis la remarque.

— Que tu es drôle Eden ! fit-il en secouant la tête. Les makawés ne sont pas des lucioles, mais des champignons. Il y en avait dans le repas d'hier.

Je pris l'étrange champignon noir entre mes doigts. Il ressemblait à une minuscule feuille de salade noire. Le champignon enflait et rétrécissait à vue d'œil, comme s'il était animé par une vie propre.

— On les fait pousser dans les champs que tu vois là-bas, précisa Okori. C'est seulement pendant les soirs de première lune qu'on peut les voir briller, et s'ils brillent aussi fort, c'est parce que le sable est gorgé de zhan.
— Ce n'est pas dangereux pour la santé ?
— Pour une matsii peut-être, mais pas pour nous ! plaisanta-t-il.

Je jetai un œil rêveur vers les champs de makawés et la lueur bleue qu'ils dégagaient. Le spectacle était saisissant. Le halo bleu grandissait, puis diminuait, puis grandissait de plus belle avant de diminuer à nouveau. Les champs me donnaient littéralement l'impression de respirer comme une entité à part entière.

— Tu vas t'en aller ce soir, Eden ? demanda soudainement Okori d'une petite voix.

Je hochai de la tête. Il acquiesça en silence, montrant qu'il comprenait pourquoi je ne pouvais pas faire autrement. Cette nuit avait des allures d'adieux qui me mettait les nerfs à vif.

— J'aurais été content que tu restes un peu plus, avoua le garçon. Mais je sais pourquoi tu pars. C'est important, alors je comprends.
— J'aurais aimé rester aussi.

Il eut un rire clair et enfantin. Le même rire qu'il avait à chaque fois qu'il exprimait sa joie, naturelle et sincère. Tellement communicatif que je finis par rire avec lui. Au bout de quelques minutes, il ajouta :

— Tu sais, je crois que ma sœur t'aurait bien aimée. Je suis vraiment triste qu'elle ne soit plus là.

Les rires se coincèrent dans ma gorge comme des cailloux dans un engrenage enrayé.

— Elle va pouvoir se reposer maintenant, ajouta-t-il.

Je restai muette devant le sourire triste qu'il affichait. Je m'apprêtai à bafouiller quelque chose lorsque Kila nous interrompit depuis la salle à manger de la tsuma.

— Vous descendez ? Il est temps de partir.

Soulagée de ne pas avoir à m'exprimer au sujet de Meori, je me redressai pour emprunter l'échelle de cordes qui reliait le toit plat à la pièce centrale. À l'entrée, près de la natte végétale, Kila était déjà prête. Elle portait deux sacs en tishiri dont j'ignorais le contenu. Yekemi, qui se tenait à côté d'elle, nous tendit plusieurs petits paquets de feuilles bien ficelés.

— De quoi manger pour la route, fit-elle en glissant les paquets dans nos sacs.
— Merci Yekemi, répondit Kila. Pour les sacs aussi.
— Ils sont très résistants, expliqua la qotsai. Ils n'en ont pas l'air, mais ils peuvent s'étendre et supporter des poids très conséquents. Vous pouvez les garder.

Esh-Kirith #2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant