57 Les Tombes

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-Autant te dire que j'ai pas laissé grand monde en vie sur mon chemin pour sortir de la prison. Je portai le corps de Charlotte. Une nouvelle fois, j'avais été incapable de sauver une personne à qui je tenais. Elle était morte à cause de moi et de ma putain d'indécision. Alors j'avais une dernière chose à faire. J'ai fui Paris. J'ai fui le pays. Je suis arrivée à un port, je ne sais même plus lequel. J'ai embarqué dans le premier bateau en partance pour les Amériques. Tout ça avec les corps de Charlotte. Je m'était demerdée pour l'embaumer, rapidement. C'était pas ouf, mais au moins son corps souffrait pas trop du voyage. J'ai rapidement compris que ça allait pas marcher. L'odeur était infecte et les matelots superstitieux. Je me suis faite débarquer assez rapidement. Aux îles Canaries, dernière escale avant la traversée de l'Atlantique. C'est là bas que je l'ai enterrée. À l'écart, sur une de ces plages de sable qu'elle rêvait de voir un jour. C'est seulement là bas que j'ai craqué. Je crois que j'étais retombée amoureuse. 100 à peine après Diane. Ça semble beaucoup, mais pour moi ce n'est pas un intervalle de temps si grand. J'avais voulu protéger son sourire, sa joie de vivre, la mener jusqu'à ses rêves. Mais je l'avais tuée, elle aussi. C'est... depuis ce jour que je ne vis plus vraiment. Et que je me suis promis de ne plus jamais vivre de relation.

Sang s'arrêta, et reprit son souffle. Je sentais qu'elle luttait pour ne pas se laisser aller aux larmes à l'évocation de ces douloureux souvenirs. Son histoire m'avait fait réaliser qu'elle était réellement âgée. Mais pourtant, elle me semblait être une enfant perdue par ses émotions. Je posai ma main sur la sienne.

-Je sais pas si je mérite de vivre Jill... mais si je meurs, leur souvenir s'en ira avec moi. Continua-t-elle. J'ai le devoir de vivre avec leur souvenir, pour qu'elles continuent à vivre à travers moi. Mais... c'est dur. J'ai tellement ôté de vies pour y arriver que je me demande si ça en vaut le coup. Pour toi je suis une bartender un peu bizarre et pas mal roulée...

Je souris en entendant sa vantardise.

-... mais en réalité je suis un monstre. Pas parce que je suis née ainsi, mais parce que je le suis devenue.

-Sang... si tu vis, c'est parce qu'elles ont donné leur vie pour toi. Pour que tu arrête de te poser la question et que tu continue. Tu n'as pas à avoir honte de rester en vie. Je ne t'aurais jamais rencontrée, sinon, après tout.

Elle sourit faiblement, et posa sa tête contre la mienne. Comme à chaque fois, son contact m'électrisa.

-Tu ne fous pas ma vie en l'air, Sang. Continuai-je. Au contraire, tu m'as sortie de mes malheurs et me rend heureuse. Et je suis persuadée que c'était aussi le cas de Diane et Charlotte.

-Tu... as sans doute raison. Je pense que j'avais juste besoin que quelqu'un me le dise. Mais comme je n'en ai jamais parlé à personne...

Elle baissa les yeux. Nous étions en plein milieu d'une épaisse forêt, perdue dans les montagnes. J'avais retenu le chemin par coeur. J'avais compris, quand elle m'avait dit de me préparer le matin même, que l'endroit était important pour elle. Ici, la neige était épaisse, comme on s'y attendait à cette altitude en février. Et, sous nos yeux, se trouvait l'objet de notre visite.

2 stèles, marquées par le temps, mais dont il était clair qu'elles étaient entretenues. C'était devant ces deux stèles que Sang m'avait racontée son histoire. Malgré le vent glacé soufflant à travers les pins, malgré le froid s'insinuant à chacune de mes extrémités, malgré l'inconfort que me procurait la présence des deux tombes, j'avais écouté du début à la fin toute l'histoire de Sang. J'était accrochée à chacun de ses mots, ayant peur qu'elle s'arrête avant la fin et disparaisse à nouveau.

Elle respira un grand coup, puis s'adressa au deux pierres.

-Salut, Diane. Salut, Charlotte. Je vous présente... Jill. C'est...

Elle sourit, et un petit nuage de buée se forma devant sa bouche.

-C'est celle que j'aime.

Mon coeur bondit dans ma poitrine. Je jetais un regard aux pierres froides, craignant presque la colère des anciennes compagnes de Sang. Elles étaient importante pour elle. Et je me sentais une étrange proximité avec elles, malgré les siècles nous séparant.

-J'ai mis du temps à me relever. Avoua-t-elle à voix haute. Je me morfondais, j'ignorais mes sentiments et mes émotions, je voulais redevenir celle que j'étais avant... avant de vous rencontrer. Quand je me contentais de suivre le flot des évènements sans jamais m'y inscrire. Vous m'avez changée, toutes les deux. Et j'avais peur de ce changement. Et j'avais peur de commettre à nouveau les même erreurs. Je... je suis désolée de ne pas vous avoir sauvées... je vous aimais... tellement...

Des larmes roulaient les long de ses joues. Ses yeux en amandes luttaient. Son visage magnifique tentait de rester neutre, de garder la tête haute, fier de son orgueil, devant les trois femmes qui avaient faites sa vie. La première, qui l'avait sortie de sa solitude. La deuxième, qui lui avait appris à croire en ses rêves. Et la troisième, qui l'avait sauvée de la perdition dans laquelle elle s'enfermait. Moi.

Elle renifla, avant de continuer.

-Je sais que vous ne pouvez pas m'entendre. Après tout, ton corps n'est même pas ici, Charlotte. Mais j'avais besoin de vous dire que... j'ai enfin réussi à tourner la page. À aller de l'avant. Jill est... eh bien, elle est taciturne, renfermée, râleuse, et prend tout beaucoup trop à coeur. Elle essaie toujours de sauver les autres sans penser à elle. Elle me ressemble beaucoup sur ce point là. Et... elle vous ressemble aussi beaucoup sur ce point là. Je pense que vous auriez aimé la rencontrer. Vous auriez été les meilleures amies du monde.

Elle renifla une dernière fois.

-Je ne referai pas les mêmes erreurs. Je ne l'enfermerai pas. Je ne la mettrais pas en danger. Et je m'effacerai quand le temps viendra. Au revoir, Charlotte, Diane. Vous me manquez... terriblement.

Elle resta silencieuse. Je déchiffrais les inscriptions de chacune des pierre, émue.

Diane
1613-1656
"Peu importe d'où tu viens, puisque je t'aime"

Charlotte
1773-1793
"Es tu un Ange? Peux tu m'emmener avec toi au paradis?"

Je souris. J'étais persuadée que ces citations étaient d'elles. J'accordai un dernier sourire aux deux stèle en m'éloignant avec Sang. Puis je m'accrochai au bras de ma petite amie. Le passé était le passé. C'était le message que j'avais l'impression de retirer de cette visite. Les deux stèles semblaient m'inviter à vivre pleinement, avant de les rejoindre à mon tour. C'était un peu glauque. Mais je m'en fichais. J'avais Sang.

Je l'aimais. Je lui appartenais.

NIRVANAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant