NIRVANA

48 Le Vieil Ab

Nous nous tenions devant une vieille bicoque biscornue, encadrée par deux immeubles bien plus grands mais pas beaucoup mieux entretenus. Le crépi était sale, les volets fermés, et une odeur aigre de vomi empestait les environs. Ma motivation en avait pris un coup.

-Tu... es sûre que c'est là? Demandai-je à Sang.

-Ça m'en a tout l'air. Répondit-elle simplement. Je sonne.

Elle n'avait pas l'air choquée le moins du monde par l'apparence de la maison. Elle semblait en avoir vu d'autres, et cela me fit me poser une nouvelle fois la question de son passé, toujours une page blanche pour moi. Elle sonna. Un bruit de verre cassé suivi d'un juron retentit, et la porte s'ouvrit sur un homme à l'allure patibulaire, l'air déjà bien entamé par l'alcool. Il jeta un coup d'oeil à Sang, puis à moi, puis à nouveau sur Sang. Un sourire béat apparut sur son visage, ce qui fit apparaître une moue de dégout sur le visage de la bartender. Merde. Elle était peut être pas la meilleure diplomate du monde... surtout face aux vieux pervers. Je la tirais un peu en arrière au regret de l'homme, qui reporta son regard désormais morne sur moi.

-Zêtes qui?

-Bonjour, je m'appelle Jill et j'ai entendu dire que vous connaissiez une personne du nom de Christian Morn...

Je voulu continuer de peur que ma présentation ne suffise pas, mais ses yeux s'agrandirent. Un sentiment de malaise s'empara de moi. Avais-je dit quelque chose de mal? Un détail me frappa. Cet homme connaissait visiblement mon père 10 ans auparavant. S'ils ne se voyaient plus, peut être étaient-il... brouillés? Allait il nous claquer la porte au nez pour avoir simplement prononcé son nom? Ou alors nous charger de l'insulter si on le croisait?

Je sentis Sang rire légèrement derrière moi. Elle devait avoir senti mon trouble, et eut raison de rire, car, contrairement à mes attentes, l'homme ne s'énerva pas du tout. Au contraire, il était fou de joie.

-Oooh vous connaissez Christian? Vous êtes des amis? Ses amis sont mes amis! Ça fait un moment que cette vieille branche ne m'a pas donné de nouvelles, d'ailleurs. Allez, entrez vous mettre un peu au chaud, il caille sec dehors.

Un peu déboussolée par ce soudain changement de comportement, je suivis mécaniquement l'homme à l'intérieur sans trop réfléchir. C'était sans doute déconseillé de rentrer chez de vieux inconnus un peu pervers sur les bords, surtout lorsqu'on était deux jolies jeunes femmes sans défense.

Sauf que nous étions une jolie jeune femme et moi, et que Sang était loin d'être sans défense. J'étais donc sereine en entrant. Jusqu'à sentir l'odeur, mélange d'alcool, cigarette et renfermé qui me monta immédiatement à la tête. Ça n'avait pas été aéré depuis longtemps...

-Excusez le bazar. Dit il en rangeant quelques bouteilles de biere qui trainaient sur un table - il y en avait encore des dizaines qui jonchaient le sol, ainsi que des canettes. L'environnement était immonde.

-Jvais vous chercher un truc à boire! Des préférences?

-Une bière. Dit Sang. Une vraie. Corrigea-t-elle en jetant un regard dédaigneux aux canettes qui jonchaient le sol.

-Moi aussi. Dis-je précipitamment, sans trop réfléchir.

Je ne remarquais ma bêtise qu'après. Il était vrai que je m'étais peu à peu habituée à l'alcool depuis que je fréquentais Sang. Mais toujours ses cocktails, ou alors des verres d'alcool fortement dilués dans du soda sucré. J'avais évidemment tenté la bière, des bière pas trop amères, et ça n'avait pas été un succès.  Alors boire une vraie bière... mais je ne montrais pas mon regret, et m'assis en silence, ignorant le sourire amusé de Sang alors que notre hôte s'éloignait.