Le prix du passé (Jake is it love?)

Face à face

Et dire que ma longue marche de cette nuit avait réussit à me calmer, me voilà à présent à nouveau bouleversé ! Le matin, avant d'accueillir M Carter, j'aime fumer une cigarette dans l'entrée en regardant entrer dans le bâtiment les employés pressés, encore à moitié endormis pour la plupart. C'est mon petit rituel, j'ai l'impression d'assister à la rediffusion d'une émission américaine ennuyante sur la vie des gens de la haute, un genre de télé-réalité composé de nouveaux riches et des parvenus ! Cette idée me fait bien sourire, le principe est le même : sourires de façade pour plaire et se faire aimer, promesses qu'on ne compte pas essayer de tenir, faux semblants et tentatives maladroites de manipulations pour évincer ses adversaires... et encore, tout cela quand l'humeur des candidats est au beau fixe... Cela peut vite tourner au drame : un scandale exposé au grand jour, une infidélité mise à nue... la plus grande société comme le plus grand candidat peut vite passer de l'admiration au mépris. Ce matin, comme d'habitude donc, je regardais défiler tous ces visages différents qui se ressemblaient, tous plus vides les uns que les autres. Cela me rassurait de voir des êtres plus morts que je ne pouvait l'être. Puis elle est arrivée!

 Elle, dont j'ignore tout. Belle à en couper le souffle, si jeune, et surtout si pleine de vie ! Ses yeux brillaient de joie et d'excitation en passant les grandes portes mornes. Elle s'est arrêtée et m'a vu, et là, quelque chose en elle a changé. Elle paraissait troublée, perdue, si bien qu'elle a trébuché et a commencé à tomber. Trop heureux de sauter sur l'occasion, je me suis précipité vers elle pour la retenir. Ce geste m'a permis de la dévisager sans paraître grossier, afin de la découvrir. Même si nous nous ne nous sommes regardé qu'une poignée de secondes, celles-ci ont été suffisantes pour en apprendre un peu sur elle. Son regard trahissait une grande intelligence et une vivacité d'esprit peu ordinaire, son assurance s'est évanouie en un instant, ce qui prouve qu'elle n'était qu'une façade, un masque. Malgré sa beauté peu commune, elle semble douter d'elle en permanence. Elle est dans doute ce genre de fille se remettant en question à chaque remarque qu'on lui fait, qui cherche constamment à s'améliorer pour plaire, afin d'échapper à sa peur constante d'être rejetée. De plus, mon contacte d'homme l'a fait frémir, comme si elle n'avait pas l'habitude d'être touchée. Moi qui pensait que toutes les trop belles femmes sont des filles faciles jouant avec le cœur des hommes, elle est l'exception remettant en cause ma théorie. 

Cela ne me ressemble pas d'être autant troublé par une rencontre, surtout celle d'une femme. Je ne me trouve pas spécialement beau, mais le fait est que je plaît aux femmes. Je me suis fait assez abordé dans les boites de nuits par de jeunes et séduisantes chasseresses d'hommes pour le savoir. La jeunesse aidant, Dieu sait que j'en ai profité ! Moi qui ai une assez basse opinion de ma personne, je me servait de ces filles perdues pour raviver mon estime de moi complètement morte. Chaque soir, je ramenait une fille différente dans mon lit, et je me nourrissait de son regard émerveillé, de ses bras délicats caressant mon corps marqué par les cicatrices de la guerre, et de sa bouche criant mon nom jusqu'à l'extase ! Oui, j'étais accro à ses sensations de plaisir futile et éphémères, je me sentais puissant et viril, assez pour combler de plaisir toutes ces pauvre âmes en quête de vertiges enivrants. Elles n'étaient qu'un soir, un instant de mon existences, une passade que je remplaçais dès le lendemain. Certaines voulaient apprendre à me connaître, ce que je n'appréciait guère. Dès qu'il était question de sentiments, le tableau se noircissait. Je n'ai jamais ressentit d'amour pour personne, du moins pas en tant qu'adulte. Mes parents et ma sœur sont morts, ma vie est un trou béant dès lors. J'envie les amoureux éconduits, les fils qui rendent visites à leur mère, les pères pressés de rentrer chez eux et de se faire accueillir par leurs enfants. Je suis envieux des sentiments. Je me demande quelle est la signification de la passion, de la tendresse, du dévouement.