« Je kiffe recevoir de l'amour mais j'ai la flemme d'en donner. Peur de me faire baisser la gueule vu que l'amour rend aveugle »
Ce matin-là, j'ai ouvert les yeux avec toujours la même appréhension... Celle de m'étouffer avec la canicule de mes larmes. Chaque matin, ce fléau effleure le bout de mes doigts, il s’agrippe avec acharnement à mes veines jusqu’à les faire péter... Je me contente d’évacuer cette torture en la camouflent par un sourire mensonger…
En cette saison de printemps, toujours la même routine du matin... L'absence de mes frères comblée par la clameur de Sofya & Nahla.
Arrivée à la fac, mon regard se pose sur Omran occupant une place devant et... Soumaya, assise dans le fond de l'amphi... Que se passe-il ? Je contemple Soumaya... Elle a l'air ensevelit dans ses rêveries, cogitant seule dans son coin.
Je me dirige immédiatement auprès d’elle.
- Moi : Salam a3leykoum Sou !
- Soumaya : …
- Moi (en la secouant doucement) : Oh Sou !
Elle lève la tête en ma direction... Elle a un regard inquiétant, vide de sens et à la fois bourré de peine...
- Moi : Sou, dis-moi, il se passe quoi ? C'est quoi cette mine de chien battu ?
Pas un mot ne sort de sa bouche... Mais son regard transperce mon cœur, je sens que quelque chose la tiraille. J'ai l’impression qu’elle porte un fardeau trop lourd pour son petit cœur qu’on a surement dû planter avec une lame assez aiguisée pour la foudroyer de plein fouet.
Je me contente de patienter en silence afin de lui laisser le temps de trouver les mots mais elle finit par baisser le regard vers son cours... Son cours qui d'habitude est complet... Aujourd'hui, aucun mot n'y ait inscrit. Le silence est devenu son abri, ce silence rompu par son cœur qui crie... Je ne peux pas la laisser comme ça...
- Moi : Sou... Parles-moi, je suis prête à t'écouter et à t'aider
- Soumaya : Laisses, j'veux pas t'prendre la tête avec mes histoires
Je voudrais tant lui dire « Nan Sou, expliques-moi tout, je suis ton amie désormais »... Mais je me suis mise à sa place. Moi aussi, j'ai mis beaucoup de temps avant de partager la mort de Yemma, car sa mort passait dans ma tête tel un diaporama, mon cœur voulait exploser tel Hiroshima, menant mon corps tout droit vers le coma, prêt à prendre éruption tel un magma,...
Je me mets à écouter le cours tout en jetant quelques coups d'œil vers Soumaya... Cette femme voilée au visage si sublime. Aujourd’hui, à son tour, elle est tombée dans la déprime. S’il te plait, ne te laisses pas avoir par ce crime qui te persécute, ne verses pas tes larmes sans estime. Je sais que le bonheur n'est pas infime, parfois il a tendance à être illégitime. Je sais aussi que l'euphorie est rarissime alors que le malheur lui est richissime. Un mal t'opprime mais, demeures forte, n'en devient pas la victime, ne fais pas de ton sourire un régime.
- Soumaya : Nessma ?
- Moi : Oui ?
- Soumaya : Ça te dérange pas qu'on quitte le cours ? J'en peux plus
- Moi : Oui, comme tu voudras
- Soumaya : Merci. Si tu ne veux pas ma3lish (*pas grave*), je sais que les cours sont importants pour toi
- Moi : Non, t'inquiètes pas, on rattrapera grâce à Omran
- Soumaya : Euh, ouais In sha Allah
Nous nous sommes dirigées silencieusement vers la sortie de la fac afin de nous assoir sur les bancs à l’extérieur.
Le silence était à son apogée, je ne savais pas quoi faire ou même dire... Je balançais mes pieds et pris mon portable pour faire passer le temps jusqu'à ce que je reçoive un message de Omran : « Pourquoi vs vs etes barré ? »
Je lui répond à la minute même : « C'est Sou qui a voulu partir, j'sais pas c'qui lui arrive, elle est dans un sale état »
Je contemple les personnes qui défilent dans la rue, la cadence de leurs pas, les expressions de leurs visages.
J'entends une mélodie qui m'est familière, elle s'accélère... Cette mélodie meurtrière n’est d'autre que le cri des larmes de Sou qui annonce l’alarme que provoque le vacarme qui la tourmente...
- Moi : Sou, pourquoi tu pleures ? Dis le moi s'il te plaît
- Soumaya : Ness, j'me suis faite piéger ! J'voulais aimer que la religion, vivre que pour la religion mais c'est fini, FINIT ! J'suis dépendante d'un autre truc...
- Moi : Quoi ? Dépendante d'un autre truc ? J'comprends rien
- Soumaya (en pointant sa tête) : Il est là H24 putain !
- Moi : Qui est là ?
- Soumaya : J'savais pas que ça existait ça, Ness ! Putain, j'savais pas !
- Moi : …
- Soumaya : Putain, c'est la première fois, Ness ! La première fois qu'ça m'arrive ! Tu comprends ça, Nessma !? Ça m'prend la tête, j'vais faire quoi moi maintenant hein ?!
- Moi : …
- Soumaya : Oh, Ness ! Tu m'écoutes ? J'suis qué-blo, j'pourrais plus m'en sortir...
D'un coup, elle pose ses mains sur mes bras et commence à m'agiter dans tous les sens. Par son regard, elle m'a transmit toute sa rage... Je n’ai pas cherché à lui enlever ses mains, je l’ai laissé faire, elle devait évacuer sa peine par n’importe quel moyen. Surtout que je ne comprenais toujours pas ! Elle s'arrête tout d'un coup, verse une petite larme, se lève et s'en va...
Je la rattrape très vite :
- Moi : Oh, Sou ! Expliques-moi c'qui t'mets dans cet état
- Soumaya (éclatant de rire) : Cet état ? Et dis-moi quel est mon état ?
- Moi : Bah... J'sais pas... T'es... T'es devenue folle !
- Soumaya : Ouais normal hein !
- Moi : …
- Soumaya : Normal... J'suis... Folle de lui !
- Moi : Tu parles de qui là ?
- Soumaya : Celui qui occupe toutes mes pensées,... Ouais, j'ai bien dis toutes, Ness ! J'sais pas comment il a fait mais il m'a pris ma vie, qui aurait cru un jour que, MOI, SOUMAYA, je vivrais pour quelqu'un d'autre hein !? Y'a que lui qui m'fais vivre, c'est le seul qui fait que mon cœur bat super vite, y'a que lui ! Quand j'le vois, mes yeux brillent juste à la vue de sa face, Nessma ! Il suffit que j'le voie pour que je lui pardonne toutes les fois où j'ai pleuré pour sa race... Dès fois, j'me dit t'inquiètes Sou, tu chiales pour la bonne cause, c'est pas n'importe qui lui ! Et, ouais, j'le keaf comme une gue-din !
Elle était dans une hystérie totale, elle hurlait, faisait des vas et viens ! Je ne l’ai jamais vu se mettre dans un tel état et j’osais à peine l’interrompre, de peur qu’elle se braque ou m’en retourne une, vu son état de nerfs !
- Moi : Euh, Sou... de qui tu parles ? ... Enfin, je t'oblige pas à répondre mais pour que tu sois comme ça… Enfin bon
Un long moment de silence... Elle finit par se calmer, son hystérie mais pas ses pleures...
- Soumaya : Laisses, tu connais pas
- Moi : T'es sure ?
- Soumaya : Ouais...
Je l'ai prise dans mes bras... Ce n’est pas dans mes habitudes mais je voyais qu’elle en avait besoin.
- Moi : Pourquoi, t'étais pas avec Omran ? Y'a un soucis ?
- Soumaya : Il l'a mal prit ze3ma (*genre*)
- Moi : Comment ça ?
- Soumaya : Bah, il est au courant depuis longtemps que j'keaf ce mec, il m'aidait mais là, galek (*il a dit*) vas-y nachave avec ton raclo, t'es devenu une fille faible qui pleure pour un vieux mec... D'un côté, j'le comprends, j'crois j'l'ai tellement saoulé avec ça...
- Moi : Ah ok, ambiguë cette histoire quand même
Elle ne voulait pas en rajouter, elle voulait se retrouver seule à vagabonder dans les rues de la capitale afin d'extérioriser cet amour qui lui aspire le sang de son cœur, et fait cracher ses pleurs... Le bonheur en pénurie, l'odeur du regret comme parfumerie, son regard voulant pleurer des calories...
Quant à moi, je prend le chemin de la tess. L'envie de retourner en cours s'est vaporisé sous l'effet d'être la spectatrice de la maladie de l'amour qui touche la plupart de mes proches et finit par tous les rendre fou... Fou d’amour.
En arrivant devant ma porte, tout est calme.
Bien évidemment à cette heure-ci, personne n'est encore rentré. Je vais enfin me retrouver seule dans cet appartement regorgeant de souvenirs...
« Il faut compenser l'absence par le souvenir. La mémoire est le miroir où nous regardons les absents. »
Je pose mes affaires dans ma chambre et vois, par la même occasion, que Khadija m'a laissé un petit mot : « Today je rentre pas à la maison. Baba a appelé il va rentrer tard à cause du boulot, tkt j'ai obligé Redouane a allé chercher les petites. Allez, biz', pas de betises »
- Moi : Redouane, t'es à la maison !? REDOUANE !
Il ne répond pas, il est surement absorbé par les clés de sol de ses écouteurs...
Je me dirige vers sa chambre, puis ouvre la porte...
- Moi : Redouane, n'oublies pas d'aller chercher Sofya et N...
En une fraction de seconde, je ferme la porte. Non, je n'ai rien vu... Non, rien de rien...
Je me dirige à toute allure vers la salle de bain afin de faire mes ablutions et rattraper mes prières...
Je souhaiterais que l'eau que j'imprègne sur mon visage submerge ce que mes yeux ont vu... Oui, moi je n'ai rien vu... Ce sont simplement mes yeux.
« La vie peut être belle même si la réalité ne l'est pas »
Je n'ai pas le droit de nier la réalité même si elle ne m'inspire pas tranquillité...
Je prie, pour une fois, sans même avoir versé une larme... Chaque articulation, lors de ma prière, me brise les os. Le malheur a déniché les clés de la porte de mon bonheur et a tout saccagé ne laissant derrière lui que quelques débris de dévastation massive.
Je décide de retourner dans la chambre de mes frères... Allah m'a confié quelques plaies. A moi, de les affronter... Mon Seigneur m'en donnera le remède.
Mon cœur est prêt à s'émietter face à cette porte... Là où se cache la lassitude que mon sang supporte, là où seul mes pleures me réconfortent, là où ta mort est ma seule escorte... Là où ma vie est morte...
Cette journée est gravée au plus profond de mes veines, où la torture est reine. Mon cœur criait son deuil à pleine haleine... Tandis qu’on bicraver ma peine, moi j’ai expectoré ma haine...
J'ouvre enfin la porte... Non, je ne rêve pas...
- Moi : Arrêtes, 3afek (*s'il te plait*)... T'as pas le droit de nous faire ça... Parles, dis-moi quelque chose...
« Le croyant est celui qui parle peu mais agit beaucoup tandis que l'hypocrite est celui qui parle beaucoup mais agit peu. » (Imam al-Awza'i)