"La réussite nous passe sous le nez, on en parle mais... C'est un peu comme la femme de Columbo, on la voit jamais !"
La grille s'ouvre... Voilà, on y est enfin ! Je vais avoir la réponse...
J'avance vers mon avenir, vers la réussite ou l'échec... Telle est la question. Mes pas étaient à la fois sûr et indécis. Je voulais avoir rapidement les résultats, savoir si j'aurai la joie de dire dans le fin fond de mon cœur "Yemma, je te dédie ma réussite", d'annoncer à mon père "Baba, tes sacrifices ont valu la peine"...
Les secondes s'écoulent et mon corps s'approche à grand pas des tableaux d'affichage, organisés et classés selon les spécialités. Je cherche la fiche spécialité "maïeutique", je regarde le classement... Le stress monte à mesure que les noms défilent, à mesure que les minutes s'écoulent, à mesure que mon corps s'emballe...
Je me tourne rapidement vers Soumaya... Ses yeux sont brillants, des larmes coulent sur ses joues... Était-ce des larmes de joies ? Je n'eusse le temps de lui demander qu'elle me sauta au coup m'annonçant fièrement sa réussite.
- Moi : Ma sha Allah, je savais que tu y arriverais !
- Soumaya : Je suis heureuse ! Pourquoi tu sautes pas de joie ?
- Moi: J'ai pas trouvé mon nom.
Ma phrase s'est brisée par mes larmes, ma gorge était nouée... J'avais si peur de l'échec. Comment annoncer Baba que sa fille, la seule encore capable de lui annoncer de bonnes nouvelles ainsi qu'en mesure de le sortir de ce maudit appartement HLM a lamentablement échoué ? Je ne pourrais pas, je n'en aurais pas la force...
Soumaya me prend délicatement dans ses bras...
Omran nous rejoins avec un sourire jusqu'aux oreilles... J'ai pu en déduire que son concours de kinésithérapie s'était bien passé.
Mes larmes coulent à flots, mon cœurs pleure à chaud... Omran me prend à son tour dans ses bras, m'embrasse les cheveux et soulève mon menton avec soin, me montrant ce tableau d'affichage... Il pointe un nom de son doigt... Mes yeux sont humides, ma vue est trouble...
- Omran : Ton nom est là Ness, tu devrais pleurer de joie
A ses mots, je me suis écroulée dans ses bras, remerciant Allah de m'avoir permis de connaitre la réussite au dépend des épreuves et des problèmes familiaux.
- Moi : El ham dou lilah, on a eu ce qu'on voulait !
- Omran : Sah, je suis fière de vous, mes petites. On a fait du bon boulot !
- Soumaya : Allah était avec nous
On se fait un câlin collectif... On s'installe une demi-heure, voire une heure devant la maison d'examen puis on décide de prendre le chemin du retour.
Ce sourire ne quittait pas mon visage, j'avais la joie collée au cœur, la légèreté guidant mon corps...
On se quitte enfin en se promettant de se revoir pendant les vacances, de se faire une après-midi comme à notre habitude. Je leur souhaite de bonnes vacances et je prends la route menant à mes tours.
Sur ce chemin, je pensais encore et toujours à toi, Yemma... A défaut de me me féliciter, tu brilles sur moi... Je souriais, je pensais à toutes ses fois où tu me disais que la réussite scolaire était un tremplin à une vie paisible et à l'abri du besoin...
Aujourd'hui, c'est un pas de plus vers la libération, vers ce jour où je sortirais Baba et les filles de cet appartement, de cette tour, de ce quartier emprisonnant nos rêves et brisant nos espoirs...
J'aperçois avec mes yeux plissés, à force de sourire ,mon bloc. Je me dirige vers celui-ci en espérant trouver mon père, pour lui annoncer que sa fille a grandit.
Je monte les escaliers, l'appréhension me collant à la peau puis, je franchis le seuil de ma demeure. D'instinct, je me dirige vers le petit salon où mon père avait pour habitude de de reposer... Il regardait son émission. Je m'installe à quelques centimètres de cet homme aussi fort que fier... Je lui prend délicatement la main...
- Moi : Baba, j'ai réussis
Il me regarde, il plonge son regard dans le mien... Je détaille son visage, ses rides récemment creusées, son sourire me transperce le cœur...
Je sens une goutte mouiller ma main, je regarde... C'est Baba en pleure... Sa fragilité est enfin percée à jour...
- Baba : Benti (*Ma fille*), je suis si fière de toi. Depuis que ta mère est partie, je vois bien que la famille elle se brise. Je vois bien Yassine et Redouane emprunter le chemin du haram (*illicite*), de prendre pour alliée le Sheytane a3oudoubillah. Je vois ta sœur changer, aller à l'opposé de sa défunte mère. Et toi, dans cette océan de misère, tu as su garder la tête haute. Tu ressemble de plus en plus à ta mère...
Sa gorge se casse, son discours est pris de court par une avalanche de larmes. Le roc, qui encerclait son cœur, s'est brisé, j'ai brisé cette carapace... A la vue de mon père, je pleurais sans même y prêter attention, buvant ses paroles, ses compliments...
- Baba : Nessma, nhebek benti (*je t'aime ma fille*)... Je t'aime. Je me demandes si tu n'étais pas la comment je ferais ? Comment je survivrais dans cet appartement ?
Il me serre fort dans ses bras que la France a usé... Il essuie ses larmes et, sur ses mots, il quitte le salon... Une fois que son ombre n'est plus, que sa silhouette n'est plus apparente, j'arrive enfin a dire "Baba, je t'aime. Je t'aime. Wallahi, je t'aime et je ferais tout pour mettre sur tes blessures des pansements sertis de diamants".
* * * * * * * * * * * * * * * * * * *
J'ai réussi mes examens, la vie semblait me sourire...
J'avais trouvé un petit boulot dans un magasin pour l'été. En effet, nos problèmes d'argent m'empêchait de quitter la France ou même de quitter mon HLM...
Les filles avaient eu la chance de passer toutes leur vacances chez ma tante vivant dans le sud, chez la mère de Jibril. J'étais heureuse pour elles, elles auraient la chance de sourire à plein temps, durant deux mois... Mes soucis semblaient s'être envoler, ils avaient pris l'avion pour prendre des vacances au travers de l'Atlantique, deux mois et demi de répit... Khadija s'était prise des vacances avec ses copines peu fréquentables dans le sud de la France et mes frères étaient allés en Thaïlande quelques jours...
Je me retrouvais donc seule avec mon père... Une ambiance sereine et délicate embaumant notre appartement...
J'avais retrouvé un semblant de gaieté... Je regardais souvent le ciel demandant à Allah de veiller sur mes frères et sœurs que seul lui saura localiser avec certitude, de préserver ma petite Yemma de son châtiment... J'avais prise cette habitude de scruter le ciel et de parler à ma mère, de lui parler espérant que mes mots traverseront les cieux pour atterrir dans le creux de ses oreilles...
D'ailleurs, un soir, j'étais assise durant des heures et des heures sur un banc dans le parc en bas de nos tours... Je n'avais pas vu le temps passer, la nuit était tombée... J'avais des écouteurs feintant une discussion au téléphone mais Dieu seul sait que la discussion que j'avais c'était avec toi, Yemma... Je parlais, je parlais, je racontais toute ma vie à une oreillette avec personne au bout du fil quand une main vint se poser sur mon épaule. Je sursaute et vois la silhouette de Jalil... Il s'installe à mes côtes...
- Jalil : Tu parles à qui ?
- Moi : A une amie
- Jalil : Ze3ma (*Genre*) t'as des amies ? Nan sah (*vraiment*), tu parlais à qui ?
- Moi : Tu veux vraiment savoir ?
Il se gratte le menton et se lève...
- Jalil : Non j'm'en fou, je voulais faire le ti-gen mais ça m'va pas j'trouve. Hassoul (*Bref*), j'te laisse parler à ta shab (*pote*) imaginaire. Salam
- Moi : Wa a3leykoum salam
Et, sa silhouette s'éloigne dans la nuit... Je reprends ma "conversion privée" avec la femme de ma vie...
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A la suite de cela, ma vie avait repris un rythme plus ou moins normal... J'allais au travail, je rentrais exténuée mais par respect je préparais toujours le repas pour mon père.
Les jours passaient, les filles étaient enfin rentrées, les garçons étaient de retour et les galères, les accompagnant, aussi. Khadija était aux abonnées absents comme a son habitude...
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Les mois s'écoulaient tels des grains de sable dans un sablier... Je m'étais réinscrite à la faculté. A la reprise des cours, des choses avaient changées... Omran n'était plus dans notre classe à plein temps de par sa spécialité, Soumaya semblait de plus en plus triste tandis que, moi, je retrouvais petit à petit mon sourire...
Cette année s'annonçait bien... La vie me souriait-elle enfin ?
Quelle que soit la gravité de vos fautes,revenez à lui d'un repentir sincère,car il est le sanctuaire du pécheur,et ne desesperez surtout jamais de sa miséricorde.
Il nous dit : "Et qui désespère de la Miséricorde de son Seigneur,sinon les égarés ?"
Coran - Sourate 15 "Al-Hijr" - Verset 56