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« Les playeurs disent que la vie est une pute, j’suis un guerrier. Je la considère comme une lutte… »



Je m’apprête à entrer dans le hall de mon immeuble quand j’entends que l'on crit mon prénom de l’autre côté du trottoir.

- … : NESSMA !

J’hésite longtemps à me retourner... Cette voix, je commence à bien la connaître mais là, ce n'est vraiment pas le moment. Je veux juste rentrer chez moi retrouver les miens. Je tente d’esquiver en faisant la sourde oreille mais la personne insiste lourdement.

- … : OH NESSMA, ATTENDS ZEUBI !

Cette fois, je ne peux pas me défiler, je me retourne. 
Je crois qu’aujourd’hui, c’est la journée des règlements de compte...
Moi : Salam a3leykoum, je suis pressée. Tu me veux quoi ?

Il a ce regard noir si symbolique, qui reflète un sentiment à la fois entremêlé de haine et de dégout.

- … : Ferme ta gueule, pressée ou non j’m'en bas les couilles !

Il m’a attrapé par le bras et m’a ramené devant sa voiture. J’ai l’impression que c’est une habitude avec lui...

- Moi : Non Jalil ! Je vais…

- Jalil : MONTE !

Je suis monté sans trop réfléchir aux conséquences. De toute manière avec Jalil, c’est toujours comme ça. Il a un caractère impulsif de nerveux que je n’arrive pas à cerner.

Je n’ai même pas eu le temps de fermer la portière de la voiture qu’il avait déjà démarré en trombe ! C'est un malade, je crois j'ai signé mon arrêt de mort ce soir. Putain, je suis dans la merde !

Personne ne parlait...
Moi, j’essayais de formuler une réponse toute prête à sa futur question, dans ma tête. Sans m’en rendre compte, j’ai posé mon regard sur lui et, à ce moment même, un sorte de frisson est venu parcourir le long de mon corps. Çela m’a complétement déstabilisé...

- Jalil : Tu m’prends vraiment pour un PD toi

Je n’ai pas compris sa phrase, je m’attendais pas à celle-là... 

- Moi : …

Je fixais la route qui défilais par la fenêtre afin d’éviter tout contact oculaire avec lui.

On était à proximité d’un feu, habituellement il aurait accéléré pour ne pas rester bloqué au feu rouge mais là, il a ralenti et m’a attrapé par la nuque.

- Jalil : Qu’est c'que tu foutais dans cette putain de cave avec l’autre fils de pute ?

- Moi : Mais t’es malade, ça va pas ? Lâches-moi Jalil, tu me fais mal là !

- Jalil : Oh la con de toi ! J’t'ai posé une question, réponds ta race ! 

Je ne sais pas pourquoi mais, inconsciemment, je voulais lui faire du mal, juste pour voir la réaction qu’il aurait à ce moment précis.

- Moi : Mais rien... Puis je vois pas en quoi ça te regarde !

Il s’est mis à rire, mais ce n’était pas un rire communicatif... Non, c’était plutôt un rire nerveux, un rire perverti, qui m’a glacé le sang à la seconde même où sa tonalité est parvenue à l’extrémité de mes oreilles.

Il a enlevé ses mains de ma nuque puis a redémarré la voiture mais, cette fois-ci, sa conduite était aussi nerveuse que son état. Sur son visage, se dessinait des traits d’irritation, la mâchoire serrée, les mains crispées sur son volant et le regard au loin. On roulait de plus en plus vite, je voyais les vitesses augmenter à toutes allures sur le compteur. Mais bizarrement, je n’ai pas eu peur... Une toute autre émotion s’est manifestée et a envahi mes membres… de la confiance...

Nous sommes arrivés à destination... J’ai eu ce sentiment de déjà-vu. En fait, nous sommes dans le même parc que la dernière fois !

Nous sommes sortis de la voiture, puis Jalil a commencé à marcher alors instinctivement je l’ai suivi. Nous avancions sans destination précise... Enfin, moi, je le suivais, puis au bout d’un moment j’en ai eu marre alors je me suis arrêtée. Il n'a pas tout de suite remarqué que je ne le suivais plus... Au bout de quelques secondes, il s’est retourné et m’a observé puis il est revenu sur ses pas. Son regard s’était radouci...

- Jalil : Ness, j’vais répéter une dernière fois ma question au cas où t’aurais mal compris... Qu’est-ce que tu faisais dans les caves ?

Provocation obligée.

- Moi : Ça te regarde pas !

- Jalil : WAllah commences même pas à faire la meuf avec moi ! 

Il avait saisi mon bras et il maintenait une pression constante dessus, comme pour me prévenir que j’étais en train de dépasser les limites.

- Moi : Écoutes-moi bien toi aussi ! T’es ni mon frère, ni mon père, on n’est pas marié toi et moi alors laisses-moi tranquille et lâches-moi que je puisse rentrer chez moi !

Contre toute attente, il a relâché mon bras avec cette violence qui le caractérise tellement. Ses yeux projetaient des flammes de haine, on pouvait y lire une aversion profonde et une animosité envers ma propre personne.

- Jalil : Tu m’dégoûtes, t’es comme les autres, tu veux faire la meuf bien mais en vrai t’es qu’une grosse keh pff. T’as pas honte de toi là ?

Alors c’est comme ça qu'il me voit ? Une meuf à cave. Une de ces filles qui se donne, avec tant de facilité, à des hommes qui salissent tant de nos sœurs, en encrassant leur cœur avec de belles paroles, dans l’attente d’une seul chose, dérober leur identité juste pour pouvoir se vider…

J’ai cherché une réaction de sa part, je me suis perdue dans mon propre jeu. Je ne sais même pas pourquoi mais j’attendais autre chose... Ne me demandez pas quoi, moi-même je ne sais pas mais sa réponse n’a pas eu l’effet escompté.

- Moi : Non je n’ai pas à avoir honte de moi, quand on ne sait pas, on ne parle pas

A m’entendre parler, je me mettrais bien des claques à moi-même, mais je me sens obligé de le provoqué, de le pousser à bout… 

- Jalil : Tu sais même pas comment j’ai envie de te défoncer ! Tu t’sens puissante en prenant les gens de haut ? N’oublies pas que t’es une meuf de chez nous, une p’tite banlieusarde de merde, alors joues pas à ça avec moi et redescends vite ou j’te fais bouffer le sol !

- Moi : Comme d’habitude avec toi, tu connais que frapper ?! Tu sais quoi ? Je préfère rentrer

- Jalil : T'as raison, ça vaut mieux pour ta gueule. Mais crois pas qu’on va en rester là, on n’en a pas fini toi et moi !

- Moi : J'te dégoute, pas de soucis. Maintenant, ramènes-moi à la tess

Il a fini par me ramener... Sur le chemin du retour, un silence pesant flottais à nos côtés. Il n’a pas décroché un seul mot, ni un seul regard, rien....

J’avais la haine contre moi-même, pourquoi ai-je voulu jouer avec ses nerfs ? Je ne comprends pas ma réaction, j’aurais simplement du lui dire la vérité. Maintenant je passe pour la prostituer du quartier !

* * * * * * * * * * * * * * * * * * * 

Je vais avancer un peu dans le temps... 

Jibou a finit par nous quitter et rentré chez lui.
Malgré qu’il soit resté une semaine de plus, j’étais dégoutée. Son départ m’a rendu triste. 
A ses côtés, j’avais enfin retrouvé un équilibre, une stabilité. Sa présence a été, pour moi, un support bénéfique dans l’édifice de ma vie. Il a eu ce rôle de pilier qui m’a permis de souffler un moment et il m’a aidé à accepter… Il a reconstruit ce qui était brisé à l’intérieur de moi, tous les uppercuts invisibles à œil nu qui recouvraient mon corps et m’empêcher de m’épanouir, il a su les effacer. Il a pansé mes plaies une à une avec des paroles réconfortantes, des nuits de discutions, des milliers de délires partagés.
Pendant ces deux semaines, Jibou a été mon repère dans ce monde de vipères. 
Avec lui, il a emporté mon sourire dans ses valises. Mais il m’a promis de m’appeler chaque soir et de revenir plus souvent avec le reste de la famille. 
En échange, je lui ai fait la promesse de ne pas sombré et de rester cette fille forte...


Les journées passent, les semaines... Cela fait un mois que nous sommes sans nouvelles de Khadija. Soryan n’a pas refait d’apparition depuis le jour où l'on a parlé dans les caves et je n’ai pas recroisé Jalil.

Mes frères se font de plus en plus discret...
Yass disparait chaque jour un peu plus. Il a pris du grade, maintenant il a sa petite équipe. Son chiffre d’affaire augmente de jour en jour comme ses trafics. Il n’est pas encore tombé mais je sais que ce n’est qu’une question de temps. Ça parle beaucoup trop au quartier sur sa nouvelle « notoriété ». Comme si dealer était une fin en soit, les gens trouvent sa honorable pour en parler autant ?

Une ord de filles ont fait leur apparition depuis que Yass à opérer ses changements. « Les thugs, c’est sexy », diront certaines de ses groupies. Où se trouve la beauté d’un homme qui revend la mort à ses semblables ? Si ce n’est l’appât du gain que rapporte la bicrave et qui charme toutes ses demoiselles égoïstes et matérialistes.

Redouane, lui, est effacé... Plus d’une fois, j’ai essayé de communiquer avec lui mais rien n’y fait. Nous avons perdu ce lien de fraternité qui nous unissait dans le passé. Je ne sais exactement ce qu’il fait de ses journées, mais j’ai peur, qu’à son tour, il suive le même chemin que son ainé, celui des égarés...

Baba, lui, continue de trimer dur pour nous sortir du gouffre financier qui est venu engloutir ma famille. Les menaces des nombreux huissiers font partis de notre quotidien, ils sont, en quelque sorte, devenus des membres à part entière de la famille. Ils sont comme un nouvel oncle que l’on déteste mais à qui l'on est obligé de rendre visite tous les mois par respect… Malgré tout cela, Baba reste fort et ne se plaint jamais.

Le récit de ta vie, c'est toi qui l'écris... Tu le retranscris, chaque jour, dans le livre de la vie à travers les actes, les décisions, les choix que tu fais. Les jours sont les lignes, les mois sont les paragraphes, les années sont les pages. Le tout est relié par la couverture qui représente le monde qui te retient ici-bas…

Les réveils sont rudes... Lutter tous les jours pour ne pas sombrer, voilà ce qui me fait tenir chaque jour... Espérer que la vie nous rende ce qui nous est du… Le bonheur.

Ce mois-ci, je suis en plein examen, je fais au mieux pour me concentrer et éviter de louper cette première année. Je révise à fond chaque jour. Je me consacre à un chapitre. Je ne peux pas trop me permettre d’aller à la B.U de ma fac à cause des petites qu’il faut garder mais je ne me plains pas. En plus de ça, les Soumran m’apportent une aide et un soutien inconditionnel. Il m’accompagne dans mes plans galères... Ils viennent à la maison pour que l'on révise ensemble, c’est plus pratique pour surveiller mes amours.

Avec Omran, c’est redevenu comme avant... En fait, on s’est même rapproché ces derniers temps. On s’appelle souvent le soir, ils nous arrivent même de passé la nuit au téléphone ! On parle de tout et de rien, des cours, de la famille, de la vie en général. Il connait chaque détail de ma vie et j’en sais un peu plus sur lui chaque jour. C’est une personne bourrée de qualité avec un cœur énorme... Derrière son côté gars de quartier, se cache un mec hnine (*gentil/tendre*).

* * * * * * * * * * * * * * * *

Un après-midi, je quittais tôt les cours. Quand je suis arrivée chez moi, j’ai cru avoir un choc… Un sentiment de bonheur est venu envahir mon cœur...
Khadija, ma sœur, se tenait face à moi dans le salon !

Je n’ai pas réussi à retenir mes larmes une seconde de plus, cela fait plus d’un mois que nous sommes sans aucune nouvelle d’elle. On ne savait pas si elle était toujours en vie, si elle mangeait à sa faim, si elle dormait,... Enfin tant de questions sans réponse ! Et là, elle se tient debout dans notre salon, c’est elle en chair et en os ! J’avais du mal à réaliser...

- Moi : Khadija, c’est bien toi ?

- Khadija : Bah oui Ness ! Qui d’autre ?

- Moi : Non mais.. Waouh !... T’es rentrée ?

- Khadija : Oui, finit les vacances ! Soryan a finit par me retrouver donc retour forcé !

Quand elle m’a dit ça, j’ai tout de suite séché mes larmes... Elle n’a pas fini par rentrer pour nous mais pour son Soryan !

- Moi : Ah d’accord... On s’est inquiété nous. On t’a cherché de partout, t’étais où ?

- Khadija : J’étais chez une de mes potes, elle devait partir au Maroc pour régler deux trois trucs. Alors elle m’a proposé de l’accompagner et j’ai décidé de partir avec elle.

Ceci explique tout, elle avait un teint bronzé et une allure assez décontractée... Et surtout, une tenue vestimentaire à la limite du passable ! Mais je ne voulais rien lui dire de peur de la froisser et qu’elle finisse par reprendre la fuite mais, cette fois-ci, pour ne plus revenir…

- Moi : Baba sait que tu es rentrée ?

- Khadija : Oui je l’ai appelé juste avant de rentré, bon Ness si ça te déranges pas, gardes tes questions pour plus tard, j’ai rendez-vous avec Soryan là

- Moi : Euh ouais pas d'soucis mais tu reviens après ?

- Khadija : Ouais, vas-y, je décale. A plus !

Et voilà, le retour de ma sœur ! Des retrouvailles assez froides et distantes. Elle est revenue, oui ! Mais métamorphosée, elle a complétement changé avant son départ c’était limite ! Mais là, ça s’est plus qu’aggravé, je crois que j’ai complétement perdu ma sœur...

Fragilisée par les épreuves que la vie t’a envoyé, tu es devenue cet ange déchu, déçu par le poids de la vie. Auprès de ce diablotin, tes ailes ont finit par se froisser. Il a finit par dérober ta candeur et te changer en fleur fanée.

Passer du rire aux larmes est devenu une habitude. A chaque fois que je touche du doigt le bonheur, le malheur fait son apparition. Pourtant, j’ai à peine eu le temps d’effleurer cette once de gaité que le mal vient enivrer mon quotidien. Il se plaît à surgir à tout bout de champs auprès des miens et de leur quotidien. Il a perverti les miens à chacune de ses apparitions, il les a pourri de l’intérieur. Il y est allé étape par étape, doucement mais surement. La peine et les drames... Voilà ce qui parsèment nos journées. J’ai fini par euthanasier mon cœur afin de ne plus ressentir de douleur...

* * * * * * * * * * * * * * * * 

On est en plein mois de mars, j’ai finis assez tard les cours et je suis restée réviser avec mes acolytes, ce qui fait que la nuit est déjà tombée quand je rentre chez moi.
Je me dépêche... J’arrive enfin à la cité et j’aperçois mon bloc. 

A cette époque de l’année, les murs qui entourent notre tess sont désertés par ses soldats du bitume qui préfèrent squatter les caves aménagés.

Et, pourtant, quelque chose attire toute mon attention... Je n’aurais jamais dû assister à cette scène... Mes yeux sont rivés. Impossible de détourné le visage ! A contre-cœur, mon regard reste scotché... Mon cœur vient de se briser… 





Dieu n'impose à chaque âme que ce qu'elle peut porter, elle sera rétribuée selon se qu'elle peut porter, elle sera rétribuée selon ce qu'elle aura accompli et elle sera punie selon le mal qu'elle aura fait. »
Sourate 2. la Vache (Al-Baqarah) Verset 286 

Nessma, ma vie en KilodramesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant