« J’vais me tatouer LOVE sur les phalanges pour te frapper avec amour. »
A peine dix minutes après le coup de fil d’Omran, une voiture arrive en furie vers l'arrêt de bus. Omran me fait un clin d'oeil afin de me rassurer puis il monte à l'avant tandis que Sou se dirige pour ouvrir la porte à l'arrière. Moi, je reste bloquée... Yemma m'a toujours dit de ne pas rester avec des inconnus. Un "Hey Ness ! " vient me sortir de mes pensées, c'est Omran qui me regarde d'un air confus. Sans réfléchir, je monte très rapidement aux côtés de Sou, je me pose et jette un coup d'œil vers le rétroviseur... Ce regard je le reconnais, il m‘est si familier.
En effet, le beau frère de la sœur à Omran n’est d'autre que Jalil, le frère de galère de mon frère Yassine.
Soumaya et Omran s’amusaient à transformer les chansons qui passaient à la radio, un petit délire bien à eux. Quant à moi, je n’arrivais pas à être sereine, je me sentais mal à la simple idée d’être dans la voiture de ce Jalil. Il me fait horreur, je ne le supporte pas, pour la simple et bonne raison qu’il a fait entrer mon frère dans ses combines quand il était faible et perdu. Comment je sais que c’est lui et pas un autre ? J’ai entendu une brève discussion. A savoir que Jalil campe souvent à la maison (à croire que c’est un moulin) et cela de plus en plus souvent depuis le départ de yemma.
Un jour, je trainais chez moi en pyjama quand j’ai surpris une discussion assez houleuse entre Yassine et Jalil, je ne saurais vous dire de quoi il retournait la seule chose que j’ai entendu clairement et distinctement c’était « Zeubi Yassine, je t’ai fais entré dans le business à toi de faire tes preuves maintenant ». Cette phrase m’a conforté dans mon choix de ne pas porter Jalil dans mon cœur.
Enfin revenons à notre balade en voiture dans les rues éclairées de Paname, j’étais vraiment mal à l’aise et le moment que je redoutais le plus est enfin arrivé. Il a donc d’abord déposé Soumaya et Omran chez eux et de ce fait Jalil et moi étions seuls dans sa voiture. Elle était à l’arrêt quand il me dit :
- Bah viens devant t’as cru j’étais ton chauffeur ?
- Moi : Euh non... Bon j’arrive
- Jalil : Fais vite j’ai pas ton temps moi
Je m’exécute et je ne saurais pas pourquoi mais inconsciemment j’ai pris tout mon temps; certainement pour l’énerver. Je voulais lui foutre les nerfs, qu’il me haïsse autant que moi, qu’il m’ait en horreur autant que moi…
- Jalil : Ya zeh, dépêche-toi
Bon, j’emboîte le pas et me précipite sur le siège avant; j’étais doublement mal à l’aise. Je n’étais, pour ainsi dire, jamais monté à l’avant d’une voiture d'un garçon autre que mon père ou mes frères. C’était une première, et quelle première fois ? En compagnie de Jalil ? Super.
Je ne laisse pas de place aux hommes dans ma vie, ils sont pour moi une source de problèmes. Je n’ai qu’à regarder ma sœur pour comprendre qu’ils n’amènent rien de bon. Par ailleurs, je me suis toujours dire que je souffrais assez l’absence de ma mère pour y additionner une présence de trop, je ne voulais pas que mon cœur déjà plein d’amour pour ma maman ne se remplisse d’un autre amour. Mon cœur lui est destiné, et le premier à y rentrer sera le père de mes enfants et personne d’autre.
Je ne parlais pas, je regardais inlassablement par la vitre. Je voulais m’évader d’ici, l’atmosphère y était tellement palpable, que je pense que si le silence était des mots ce serait une avalanche d’insultes. Je rêvassais, mon regard scrutant ce paysage en mouvement jusqu’à ce qu’il me sorte de mes pensées.
- Jalil : Sinon, bien ou bien ?
- Moi : Bah écoutes j’ai pas trop le choix, donc à tout hasard je dirais « bien »
- Jalil : T’aime bien faire la meuf mortelle à c'que j'vois.
- Moi : Pardon ?
-Jalil (m’imitant) : Pardon ? Tu crois je suis ton chauffeur en mode j’te dépose d’un point A à un point B sans que tu n’parles ?
- Moi : Bah écoutes je ne t’ai rien demandé, donc si tu veux me déposer ici tu es dans ton bon droit
- Jalil : Ze3ma tu fais la gawria (*française*) ? Ton frère avait raison wAllah pff
Je m’arrêtais sur ses mots, que disait mon frère sur moi à Jalil ? Ce n’est pas que j’y portais un quelconque intérêt mais disons que je ne pense pas qu’il soit en mesure de me critiquer. Ok, j’admets que j’aime beaucoup parler français soutenu surtout avec ces « rats des caves », une façon de montrer aux autres que je ne finirais pas mes jours ici, qu’un jour mon langage soutenu me permettra de sortir ma famille de là. Le manque d’argent nous rend fou, et je veux pouvoir un jour donner une liasse durement gagné à mon père et lui dire « Tiens Baba, un peu de sous ». Je veux mettre les chances de mon côté et ceci passe dans un premier lieu par le langage. Comment voulez vous que je m’intègre dans cette société, que je revendique ma place si je me suis arrêter aux –wech-wech- ?
Je pensais à tout, à rien, à ma mère. Dans cette voiture avec cet homme qui a conduit ton fils à sa perte Yemma je pense à toi, je me demande si tu me vois. Non, je t’en supplie ferme les yeux, ne me regarde pas; ne regarde pas la noirceur de mon cœur, le malheur que ce sombre inconnu a apporté à notre famille. Ne lui en veut pas Yemma s’il a pourri Yassine, après tout il n’est que le reflet du système.
- Jalil : Non mais t’es vraiment bizarre comme fille wAllah.
- Moi : Quoi ?
- Jalil : Je suis en train de te parler depuis taleur et toi tu regardes les poubelles.
- Moi : T’y es pas du tout là. Bref, tu me disais quoi ?
- Jalil : Oublies, je sais même pas pourquoi j’te parles à toi
- Moi : Et après on dit que c’est moi qui fait la meuf mortelle.
J’ai prononcé cette phrase d’une façon si hautaine que si j’étais en mesure de m’auto-gifler je l’aurais fait sur le champ. En revanche, lui ne s’est pas délester de quelques insultes…
- Jalil : Je n’sais pas c’est quoi ton blem-pro avec moi mais si tu m’aime en secret pas la peine de faire l’hystérique.
Un sourire se dessina sur son visage, il était fier de lui. Je rêve ? Il pense vraiment que dans mon cœur il y ait ne serait-ce qu’une parcelle d’amour à son égard ? Je ne pense pas que je puisse en mesure d’éprouver de l’amour pour celui qui a gentiment brisé note famille. Eh oui Jalil ! Tu n’en es peut-être pas conscient mais tu devrais avoir notre malheur sur la conscience. Tu as profité de la faiblesse de mon frère pour y former une nouvelle recrue, avec le recul je me rends compte que mon frère aurait pu avoir un grand avenir scolaire s’il avait appris ses cours aussi vite que les lois de la rue. Il aurait été certainement le plus brillant. Mais on dit souvent « l’appel de la rue est trop fort » ; ce fichu appel que j’aurais bien aimé ignorer.
- Moi : Tu penses sincèrement que moi, Nessma, je puisse t’aimer toi, Jalil ?
J’ai ris nerveusement, ma phrase était absurde; en effet, il a tout pour lui. Il est grand, brun, les yeux noir et un sourire charmeur mais tout ça ne rachète pas le malheur que je vis par ta faute.
Je l’ai visiblement blessé puisqu’il a directement répliqué par une attaque bien placée :
- Et tu penses qu’avec toutes les filles que je peux avoir je perdrais mon time avec toi ? Laisse-moi rire. Le temps c’est de l’argent ma petite.
- Moi : Hassoul (*Bref*), il te dit quoi mon frère sur moi ?
Il fait mine de réfléchir, me regarde avec un sourire en coin et avoue :
- Il m’a dit que t’étais une grosse qui cassait trop les klewis avec ta morale, que tu te prenais trop pour ta mère alors que tu ne lui arrivais pas à la cheville. Euh… il m’a dit aussi que malgré tout il t’aimait bien. En sah je sais même pas comment il fait. T’es juste relou comme meuf, tu joue la gawria c’est un truc j’supporte ap.
- Moi : Smahni mais tes kehbas (*putes*) qui se colorent les cheveux en blonds, qui s’habillent à l’européenne tu keaf ; mais pourtant si je ne m’abuse elles veulent passer pour des gawria… Et sinon t’es logique dans ta tête ? Ou y'a trop de fumée dedans ?
- Jalil : Zeh t’aurais pas été la ti-peu de Yassine je t’aurais fusillé juste pour ce que t’as dit. Estime-toi heureuse d’être sa sœur. Et maintenant ta gueule je t’entends encore j'te lâche ici.
J’ai cette sale envie de l’étrangler, de lui enfoncer mes ongles dans le cou. Il se prend pour qui ? Je comprends maintenant pour je le hais, il est juste insupportable.
Et Yassine qui me critique ouvertement avec son pote, j’hallucine je me saigne en quatre pour le semblant de famille qui nous reste et monsieur trouve encore le moyen de me dire que je me prenais trop pour maman alors que je ne lui arrivais pas à la cheville.
Yemma je n’ai pas la prétention de t’égaler parce que sache que tu es inégalable, tu es et resteras la meilleure. Tu as su unir une famille par ton amour, aujourd’hui on peu le voir ; sans toi notre famille est désuni et se barre en vrille. Excuse nous Yemma, excuse moi si j’essaye de prendre ta place mais je préfère la prendre que de voir une autre femme la prendre bien que je sais que papa n’acceptera jamais un second mariage. Il m’a toujours dit qu'il veut « être uni avec toi-même au paradis », c’est tellement beau. Je veux un amour comme celui de mon père et de ma mère que même la mort n’arrête pas, que même la distance aussi grande soit elle n’efface pas…
Le trajet se termina dans un silence de mort, ce silence qui règne dans ma vie depuis ces derniers mois. On arrive enfin à destination, je ne sais pas s’il a l’habitude de déposer les petites sœurs de ses potes mais je n’voulais pas qu’il me dépose en bas de ma tours mais il n’a pas voulu m’écouter.
- Moi : Déposes- moi vers la tour de Demba s’il te plaît
- Jalil : T’as cru j’étais un PD ? J’te dépose en bas de chez toi
- Moi : Non j’ai pas envie. En bas de chez Demba, je veux pas que les gens me voit descendre de TA voiture
- Jalil : Non mais pète un coup meuf, les mecs seront en sang sur toi s’ils te voient sortir de MA voiture
- Moi : La modestie, tu connais pas toi ?
- Jalil : Modestie teh zeubi ouais. J’te dépose en bas de chez toi et khlass (*stop*)
- Moi : Mais Jalil…
- Jalil : Bon ta gueule, on est arrivé.
Je descend je le remercie timidement, un « merci » à peine audible, et lui me balance ses réflexions « la prochaine fois ne demande plus à Jalil de te déposer, tu rentre à ièp », « Je suis un gosse-beau, t’auras la côte grâce à moi », etc.
Je me dirige enfin vers mes tours de bétons le cœur lourd et l’esprit ailleurs. J’avais toujours pour ne pas dire plus de haine envers lui et je sais que la haine n’est pas bien dans le cœur d’un musulman mais c’est une chose à laquelle je suis contrainte. Haïr un homme pour avoir détruit ma famille, je dois surement en faire trop mais s’il n’avait pas embrigadé mon frère dans ses combines nous aurions moins de problèmes. Déjà les problèmes liés à la police, il n'y en auraient plus ; les soucis de santé de mon père liés au stress de voir ses fils mal finir seraient moins graves. Enfin bon, pas le temps de trop cogiter qu’une fois arriver dans mon hall je sens qu’on me tire violemment par les cheveux.
- Moi : Aïe ! Putain ça n’va pas ? T’es malade ?
Je me retourne et là je tombe nez à nez avec mon frère Yassine. Je regrette aussi mes paroles, j’aurais dû tourner ma langue sept fois dans ma bouche. Il me plaque violemment, avec toute sa puissance contre les boites aux lettres.
- Yassine : Sur ma vie t’es qu’une kehba. Ma sœur une keh, qu’ai-je fais au ciel pour mériter ça ?
- Moi : Mais calme toi, il t’arrive quoi ?
- Yassine : Tu crois j’te surveille pas ? Je t’ai vue descendre de la voiture de Jalil. Zeh mon pote, tu fais ta keh avec mon frère, t’as pas honte de toi ? Vous avez fais quoi ? Tu lui a fais quoi pour qu’il te lâche son sourire de loveur ?
- Moi : Mais t’es malade, vas y je rent…
Je n’eus pas le temps de finir ma phrase qu’il m’attrapa le cou et serra sa main un peu plus à chaque seconde. Il me faisait peur, j’avais peur de lui. Son regard était le même que le jour où ton âme a quitté ton corps Yemma, ce regard de souffrance et de rage. Il était énervé, il avait la rage contre moi, son sang, sa sœur…
-Yassine : WALlAH LA3ADIM QUE SI J’ENTENDS UN TRUC SUR TOI, J’TE TUE ET AVANT DE TE TUER JE TE DIRAIS DE PASSER LE SALAM A YEMMA.
- Moi : Comment tu peux oser parler d’elle comme ça ? T’as bouche n’est même pas propre pour prononcer le mot « yemma », tu me parles de honte, et toi tu n’as pas honte de faire couler les larmes de baba ? Tu ne pense pas qu’il ait assez souffert cette année ?
Il s’éloignait petit à petit de moi, je respirais de nouveau. Mais à l’annonce de sa phrase de douleur mon cœur était comme asphyxié, je n’arrivais plus à penser comme il fallait mais j’ai tenu tête. Je ne voulais pas lui montrer que ses phrases et ses insultes me blessaient…
- Yassine : J’ai juste un truc à te dire, Jalil tu l’approche plus. C’est un mec avec qui je traine je sais exactement comment il pense donc tu l’éloignes.
- Moi : Tu penses vraiment que tu es en mesure de me donner des directives alors que depuis cette été tu as fuis ton rôle ? Non tu n’as pas le droit et de toute façon ton Jalil je l’aime pas, je le déteste, il a fait de toi ce pourri que tu es aujourd’hui…
Il me prit de cours et m’envoya une grosse gifle, ma joue était rouge vif. Mon cœur, quant à lui, était meurtri. S’en suivi une avalanche de coups, des coups de poings, des coups de pieds. Je n’ai pas bougé et je n’ai encore moins essayé de me défendre. Ce ne serait que prolonger le combat, et je ne voulais pas; plus vite sa rage aurait éclaté et plus vite je rentrais chez moi. Je ne pensais à rien d’autre qu’à ma mère. Yemma je t’en supplie fermes tes yeux, je te demande trop souvent de faire l’aveugle face à ces situations mais c’est pour me protéger du remord. Après de longues minutes qui me paraissaient des heures, il se calma enfin, regarda par la porte du hall et me dit :
- Maintenant montes sale keh, j’te revois encore avec un mec j’te tue.
J’acquiesçais tandis qu’il envoya son poing contre les boites aux lettres. Je montais donc difficilement les marches de mon bâtiment ; je franchis enfin le seuil de ma porte…
Le Coran : Sourate 14:versets 24-26
"N'as-tu pas vu comment Dieu propose en parabole une bonne parole pareille à un bel arbre dont la racine est ferme et la ramure s'élançant dans le ciel ? Il donne à tout instant ses fruits, par la grâce de son Seigneur. Dieu propose ses paraboles à l'intention des gens afin qu'ils s'exhortent. Et une mauvaise parole est pareille a un mauvais arbre, déraciné de la surface de la terre et qui n'a point de stabilité".