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Je me suis réveillé le lendemain matin avec un mal de dos atroce. J'étais tombé du lit et j'en ai ri. Il devait être environ huit heures ; avec le décalage horaire, je ne m'en suis pas rendu compte. Je suis retourné sous le fin drap et ai été étonné qu'il fasse si sombre. En plein été, le soleil est déjà levé à cette heure-ci. Mal réveillé, mes pensées étaient confuses. J'ai dû regarder le vide pendant une dizaine de minutes avant de comprendre qu'il pleuvait ; le ciel voilé nous privait de lumière. Je préférais de loin le soleil de la veille, mais ce n'était pas comme si je ne m'y étais pas attendu. J'ai râlé un peu, puis ai continué à penser en me réveillant. Je ne pouvais rien faire de plus, après tout.

J'ai pensé à aller faire des achats en ville, ce jour-là. J'avais envie de livres en anglais et quoi de mieux que Londres pour en dénicher. Récemment, j'avais terminé The Picture of Dorian Grey par l'écrivain irlandais : Oscar Wilde. Cette lecture ne m'avait d'ailleurs pas déplue, si je me souviens bien. Il me fallait aussi ces fameux posters des Beatles. Je comptais demander à Karen au petit-déjeuner si ça ne lui dérangeait pas, et éventuellement qu'elle m'accompagne aux boutiques.

J'ai frotté mes yeux, et des paroles me sont soudainement revenue en tête. J'ai d'abord cru les avoir entendues dans un rêve mais c'était improbable. Au fil des minutes, j'étais du plus en plus persuadé de ne pas avoir rêvé. « Il va finir par savoir, maman. Et ça sera comme avec les autres. » Je me suis souvenu m'être réveillé régulièrement dans la nuit. Cette fois-là, il devait être aux alentours d'une heure du matin. J'avais alors perçu des pas discrets, devant la porte de ma chambre. Karen s'était rendue dans la chambre d'Andrew, j'avais entendu l'adolescent prononcer ces mots et je m'étais rendormi.

Je ne comprenais pas.

Qui était ce « il » ? Moi ? Ça ne me paraissait pas impossible. Si c'était le cas, qu'allais-je finir par savoir ? Et qui étaient « les autres » ? C'était confus. Pourtant, j'ai su en déduire une chose : Andrew était préoccupé.

Je n'ai pensé qu'à ça durant plus d'une heure, mais ça ne m'a mené nulle part. Puis Mary a débarqué, et je l'ai suivie pour aller prendre le petit-déjeuner comme si de rien n'était. Elle me prenait par la main et ne me lâchait que lorsqu'elle l'avait décidé. Je ne me débattais pas, elle était mignonne.

Quand nous sommes arrivés à la cuisine, Karen était penchée au dessus des poêles et casseroles, déjà douchée et habillée d'un chemisier foncé ample et d'un pantalon rose. J'ai été un peu gêné de ne pas m'être lavé avant de descendre, moi aussi. Vêtu d'un caleçon et d'un t-shirt large, les cheveux en bataille, je ressemblais plus à un épouvantail qu'autre chose. J'ai hésité à remonter prendre une douche, mais les yeux doux de Mary m'ont retenu. Je me suis approché de sa mère pour la saluer.

— Bonjour Karen.

— Bonjour jeune homme, a-t-elle répondu en me lançant un sourire éclatant. Bien dormi ?

— Oui très bien, ai-je menti en le lui rendant. Et vous ?

Elle m'a semblé heureuse.

— Bien dormi également.

Elle a amené une bouilloire et des sachets de thés sur la table et nous a invité, Mary et moi, à nous assoir.

— Qu'as-tu prévu pour aujourd'hui, Léonard ?

— J'allais justement vous demander si je pouvais aller acheter quelques affaires, dans le centre-ville. Et si éventuellement...

— Oh, c'est une bonne idée ! Tu n'as qu'à demander à Andrew de t'accompagner ? m'a-t-elle alors coupée, visiblement très contente.

Pris de court, j'ai avalé bruyamment ma salive. Andrew ? M'accompagner ? Je doutais fortement qu'il accepte.

— Ça sera l'occasion d'apprendre à vous connaître, tous les deux, a-t-elle ajouté en se penchant à nouveau sur les poêles.

Elle cuisait des œufs au plat et du bacon. Dans une casserole à part, j'ai repéré des sortes de haricots. Mais Karen attendait visiblement une réponse puisqu'elle ne cessait de se retourner en haussant les sourcils, le sourire aux lèvres.

— Je vais lui demander en remontant, ai-je alors soufflé en esquissant un sourire en coin.

Elle n'avait pas tord : ça pouvait être le moment idéal pour faire plus ample connaissance. Ce n'est pas que je n'en avais pas envie, au contraire, mais tout dépendait d'Andrew. Je n'étais pas serein en pensant que j'allais très sûrement me faire envoyer bouler dans l'heure qui suivait mais je partais sur le principe de « qui ne tente rien n'a rien ».

J'ai pris mon premier petit déjeuner anglais et me suis senti bien malgré la pluie battante, dehors. J'avais de la chance, d'être là-bas, et j'en avais conscience. J'ai débarrassé mes affaires en souriant et ai remercié Karen pour le bacon et l'œuf. J'ai rapidement compris que sa fille et elle se ressemblaient : toutes deux ne s'arrêtaient jamais. J'ai repensé à cette nuit : Karen s'était levée pour Andrew. Elle était courageuse et assumais pleinement son rôle de maman. Je me suis demandé ce qu'il en était de Connor, et pourquoi son fils m'avait semblé l'éviter.

J'ai monté quatre à quatre les escaliers blancs et suis passé par ma chambre prendre une serviette et des vêtements. J'ai ouvert la porte de la salle de bain et ai été soulagé de voir qu'Andrew n'y était pas. J'avais complètement oublié d'écouter avant d'y entrer et je n'imaginais pas mon niveau de malaise s'il s'y était trouvé.

L'histoire de porte sans verrou ne me rendait tout de même pas serein, et je me suis demandé ce qui les empêchait d'en mettre. Ou peut-être les avaient-ils retirés ? Si c'était ça, il devait y avoir une raison. Et je ne voulais pas me poser trop de questions alors j'en ai conclu que c'était comme ça, point barre.

J'ai profité de l'eau chaude sur ma peau légèrement hâlée ; du savon à la vanille, l'unique posé sur le sol de la douche. Andrew l'utilisait aussi, et j'ai trouvé que l'odeur lui allait bien. Je me suis demandé si elle m'irait, à moi-aussi.

Je suis sorti, une serviette propre coincée autour de la taille. Je me suis penché au dessus du lavabo et observé de manière nonchalante. Je n'aimais pas tellement mon visage, même si certains le trouvaient charmant. Une forme de triangle inversé, un nez long et remontant légèrement en pointe, des yeux marrons qui n'avaient rien d'extraordinaire face à ceux d'Andrew. Je ne pouvais m'empêcher de me comparer à lui et je ne le faisais pas exprès. Mais j'aimais mes lèvres expressives, légèrement bombées et un peu roses.

J'ai compris pourquoi plus tard : elles ressemblaient aux siennes. J'ai ensuite quitté la salle de bain, vêtu d'un jean simple et d'un polo vert. Je devais aller voir Andrew.

Les pièces de théâtre ne se lisent pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant