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J'ai fermé d'un geste le livre entre mes mains, avant de me redresser.

— Hey, m'a-t-il lancé en s'asseyant en face de moi.

— Hey. Comment tu m'as retrouvé ?

Il a ri doucement.

— D'abord ma mère puisque tu l'avais prévenue, et sinon ça fait vingt minutes que je tourne en rond pour te trouver.

Tenait-il tant que ça à me rejoindre ? Si j'avais su, je lui aurais laissé un mot.

— On devrait s'échanger nos numéros de téléphones, ai-je suggéré, pour éviter de perdre du temps la prochaine fois.

Je ne savais pas le regarder dans les yeux, c'était insupportable. Alors mon regard volait entre les groupes de personnes assises autour de nous, et le vent dans les feuilles des hauts arbres.

— Tu as ton portable sur toi ? Je peux...

— Oui oui, ai-je répondu en le coupant.

Il a souri et m'a regardé le chercher au fond de la poche de mon bermuda. J'ai senti son regard dévier sur les mains.

— A ce que je vois, je t'ai interrompu dans ta lecture, a-t-il ri.

— Non, enfin oui mais... Tiens.

Je lui ai tendu mon portable.

Je l'ai vu ouvrir la page des contacts pour y insérer le sien. Je me suis demandé quelle serait la prochaine occasion qui me poussera à l'appeler.

— Et qu'est-ce que tu en penses ? a-t-il murmuré tout en tapotant délicatement sur l'écran tactile.

J'ai soufflé et ri, gêné. Devais-je vraiment lui dire ?

— Est-ce que tu es comme Roméo ?

Il a immédiatement relevé les yeux vers les miens. J'ai baissé la tête.

— Tu n'as pas répondu à ma question, Léonard.

Je me suis râclé la gorge.

— Honnêtement, c'est une œuvre incroyable. Je suis surpris de l'apprécier autant ! Chacun des personnages est attachant à sa manière, et puis les mots sous si doux... Shakespeare est une merveille.

Il a paru heureux de m'entendre dire cela.

— Alors merci qui ? s'est-il amusé en me rendant mon téléphone.

J'ai levé les yeux au ciel.

— Merci Andrew.

J'ai tendu la main vers la sienne, qui tenait l'objet. Nos doigts se sont frôlés dans une lenteur agréable, avant que récupère pour de bon l'objet.

— A toi de répondre, maintenant.

Il paraissait gêné. Il s'est mordu la lèvre, longtemps. Trifouillé l'herbe sans raison.

J'ai observé avec attention ses cheveux blonds dansant au vent, qu'il venait d'ébouriffer d'un passage de main.

— Oui, a-t-il alors soufflé.

— Oui, parce que tu es comme Roméo où parce que tu approuves que c'est à toi de répondre ?

— Parce que c'est à moi de répondre.

— Ok. Mais du coup ?

Il a plongé ses iris dans les miennes, et j'ai eu du mal à soutenir ce regard.

— Comment est-ce que tu vois Roméo ?

— Impénétrable, d'après son père, beau. Quelqu'un qu'on a envie d'aider...

— Tu as envie de m'aider ? m'a-t-il coupé gentiment.

— Oui.

Il a souri.

— Quoi d'autre ?

— Discret, fuit les problèmes. Triste à cause de l'amour, et sans espoir.

Il s'est penché en avant, et a humecté ses lèvres.

— Quels problèmes est-ce que je fuirais d'après toi ?

— Ton père. L'autre fois, tu es parti dès qu'il a ouvert la porte.

— Est-ce que ma mère t'as dit quelque chose sur lui ? a-t-il dit d'un air inquiet.

Il fronçait les sourcils. J'étais interpellé : qu'y avait-il à savoir mis-à-part que c'était un connard ?

— Non...

— D'accord. Et je suis donc triste à cause de l'amour et sans espoir, d'après toi ?

— Oui.

Nous nous sommes tus. Cette conversation avait semé une espèce de malaise. Pourquoi diable lui avais-je posé cette question ? Ma curiosité allait finir par faire fuir Andrew.

— Est-ce que j'ai raison ? ai-je murmuré en me penchant en arrière, prenant appui sur mes deux bras.

— Oui. Mais Roméo va changer.

— Pas de spoiler s'il te plaît ! me suis-je exclamé en riant pour tenter de ramener une atmosphère agréable.

Il a souri. Avais-je réussi ?

— L'histoire a l'air de vraiment te plaire, c'est cool.

— Je suis aussi surpris que toi.

— Je ne suis pas surpris.

— Ah bon ?

Il a haussé un sourcil malin.

— Non.

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas.

Nous avons ri, laissant au ciel bleu parsemé de ses éternels nuages un éclat d'amour timide.

Pour la première fois depuis son arrivée au parc, j'ai su le regarder dans les yeux. Il faut croire que je me détendais. Nous nous sommes fixés malicieusement pendant quelques minutes. Je me suis penché en avant sans m'en rendre compte ; peut-être que j'avais juste envie d'être plus proche de lui, de retrouver son parfum vanillé si agréable. Il était beau. Ce jour-là, Andrew portait un short beige et une chemise bleu clair ouverte sur un t-shirt blanc. Ces vêtements lui allaient bien. Aux pieds, il portait ses éternelles Stan Smith.

Puis il a basculé vers l'avant, lui aussi. J'ai fixé ses yeux pers avec intérêt parce qu'ils brillaient et ils étaient beaux. J'ai baissé le regard et lui aussi. J'ai senti son souffle discret sur mon visage, une haleine mentholée parce qu'il s'était brossé les dents il n'y a pas longtemps. Je ne sentais même plus cette herbe sèche qui s'enfonçait dans ma peau. J'ai eu envie de l'embrasser. Mais avais-je seulement le droit ? 

Les pièces de théâtre ne se lisent pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant