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Je l'ai fixé quelques secondes, la bouche grande ouverte, les yeux brillants. Il proposait de m'apprendre à jouer de la guitare ! C'était incroyable. Je ne pouvais attendre mieux de sa part.

J'ai dégluti, levé et baissé les yeux plusieurs fois d'affilée, ne sachant trop où les poser, avant de centrer tant bien que mal mon entière attention sur lui. J'avais compris que le temps passé avec lui était précieux, et que de telles occasions étaient rares. J'ai souri franchement ; je voulais qu'il sache que sa proposition me ravissait.

— J'aimerais bien, oui. Mais j'espère que tu as de la patience, parce qu'avec moi...

Il a ri doucement, j'ai cessé de parler.

Son rire était beau, et je voulais l'entendre.

— J'en ai. Viens, a-t-il murmuré d'un signe de tête.

— Je viens, alors.

Il a souri, je me suis levé et l'ai rejoint à sa droite, là ou sa main était posée. Je me suis enfoncé légèrement dans le matelas moelleux, il était plus confortable que le mien. Cette fameuse main s'est emparée du manche de l'instrument avec délicatesse, recouvrant les six cordes de ses doigts fins. Je me tenais droit, les bras un peu levés, le regard braqué sur la guitare et les phalanges saillantes de l'adolescent. J'agissais comme si l'on s'apprêtait à me mettre un trésor dans les bras, c'est comme ça que je voyais les choses.

— Lève un peu plus les bras, s'il te plaît, a-t-il susurré.

— D'accord.

J'ai levé un peu plus les bras. Puis j'ai senti son regard bleu-vert posé sur moi, son sourire en coin aussi. Je me suis tournée vers lui. Il s'est mis à rire, encore. J'aimais le voir aussi détendu. J'aimais aussi cette proximité, et c'était tout.

— Qu'est-ce qu'il y a, pourquoi ris-tu ? ai-je lâché en pouffant à mon tour.

— Rien, rien du tout.

Je l'ai fixé, un sourcil arqué. J'avais compris qu'il n'y avait pas « rien », et mon côté curieux voulait comprendre ce qui l'avait poussé à rire. Parce que j'avais la forte impression qu'il se moquait – bien que gentiment – de moi. Pourquoi, Andrew ?

Nous sommes restés un petit moment à se défier du regard, silencieux et bouillonnants. Si proche de lui, j'ai cru voir à cet instant un éclat traverser son regard d'amande. Pour la première fois, j'ai eu l'impression qu'il m'appréciait.

— Bon, ok. J'ai rigolé parce que...

Ses joues se sont légèrement empourprées. Son côté timide refaisait surface.

— Parce que... l'ai-je encouragé en souriant.

— On dirait que tu t'apprêtes à toucher de l'or ! Ce n'est qu'une vieille guitare achetée d'occasion. Elle ne vaut trois fois rien.

J'ai hésité à lui taper doucement l'épaule, mais me suis retenu. J'ai simplement fourré mon visage dans ma main frêle, désespéré par moi-même. Il ne comprenait pas.

— C'est vraiment un truc de dingue pour moi, tu ne t'en rends pas compte !

— Si tu le dis, a-t-il souri.

Puis il s'est enfoncé un peu plus, allant reposer son dos contre le mur sur lequel était accolé le lit étroit. Andrew m'a alors tendu l'objet, j'ai hésité, puis ai encerclé à mon tour le manche de ma main gauche, à quelques centimètres à peine de la sienne. J'ai senti la chaleur de sa peau s'en dégager.

— Tiens, a-t-il murmuré avant de dégager sa paume de l'instrument.

Je l'ai posé sur mes genoux, lentement. Mon calme inhabituel me surprenait. J'ai hésité à m'assoir au fond, avec le blond, mais me suis finalement contenté de laisser mes deux pieds nus au sol.

— Alors, comment on fait ?

— Essaie tout seul, d'abord.

— Quoi ? Mais je ne sais rien faire, ai-je lancé en me retournant, les yeux écarquillés.

Il a ri.

— Tu vas te moquer de moi, si je tente quelque chose.

— Non, je te promets.

— Je ne te crois pas.

Il m'a alors lancé un faux-regard offensé. Apparemment, je n'étais pas le seul acteur douteux ici.

Puis il s'est penché vers l'avant, les doigts entrelacés. Il avait l'air sérieux, je l'ai observé un instant. Une de ses mèches blondes retombait devant son front ample, et cachait à peine l'un de ses yeux pers. Il s'est mordu la lèvre quelques secondes, et je savais ce que cela signifiait.

— Si je ris, qu'est-ce que tu fais ? a-t-il soudain lâché.

J'ai cligné rapidement des yeux, après être resté un paquet de secondes bloqué.

— Je n'en ai aucune idée.

— Moi j'en ai une.

— Ah oui ?

Il a hoché lentement la tête en silence.

— Si tu me fais rire, je te donne un de mes t-shirts. Et crois-moi, ce n'est pas n'importe lequel.

Un t-shirt ? Je me suis demandé pourquoi il avait pensé à ça. Mais soit. C'était peut-être étrange, mais j'ai eu envie qu'il rit de moi. Sans doute parce que j'avais envie de savoir en quoi ce vêtement était spécial.

Sans prévenir, j'ai alors fait sonner les cordes d'un geste brusque. Ce qui en est sorti était tellement atroce qu'Andrew est resté un moment bloqué, le regard dans le vide Puis, lentement, les coins de ses lèvres sont remontés, ses yeux se sont plissés Allait-il rire ? Non. Il a su se retenir, le con.

— On va dire que c'est un bon début.

— Tu peux rire.

— Tu en as envie, j'ai compris.

Il a croisé les bras sur son torse.

— C'est quoi le t-shirt ?

— Tu poses beaucoup de questions.

— Je sais, j'aime savoir des choses. Donc, c'est quoi ce fameux t-shirt ?

Il s'est soudain penché une nouvelle fois vers l'avant. J'ai posé mon coude sur la couette et il s'y est enfoncé légèrement. Je me tenais presque allongé, parallèlement aux jambes du blond. La guitare menaçait de glisser de mes genoux alors je l'ai retenue de ma main libre.

J'ai réalisé à ce moment que nous n'étions plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre et mon souffle a commencé à changer. J'ai senti mon pouls s'accélérer et me suis demandé pourquoi, ce qui m'arrivait. Les yeux d'Andrew me détaillaient, son nez fin créaient de l'ombre sur ses lèvres entrouvertes. Il ne se mordait pas la lèvre.

Les secondes ont passé, nos respirations se sont mêlées à la pluie, et mon coude s'est un peu plus enfoncé. J'ai goûté à son parfum vanillé d'une inspiration profonde et ai baissé les yeux. Je ne savais plus le regarder.

— Tu le sauras plus tard, a-t-il lâché.

Puis il s'est redressé et est venu se rassoir à ma gauche.

Les pièces de théâtre ne se lisent pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant