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Cette nuit-là – la dernière – je n'ai pas su m'endormir. L'absence d'Andrew m'angoissait. Réellement. La pluie faisait un bruit d'enfer en tapant à la vitre. Et puis, il faisait chaud. Je n'arrêtais pas de me retourner. Et si mon père ne rappelait pas ?

Il était bientôt trois heures du matin. J'ai écrasé mon oreiller sur l'arrière de mon crâne, le nez dans le matelas. Je voulais m'enfuir, mais où aller ? Ce n'était vraiment pas une bonne idée. A moins qu'Andrew ne soit avec moi. Or, il se trouvait je-ne-savais où. C'était une affreuse sensation. Je me rassurais en pensant qu'il était à l'abri de son père ; c'était déjà ça.

Je me suis encore retourné. Sur le dos, cette fois. J'ai fixé le plafond, à peine visible à cause de l'obscurité. Il s'éclairait une seconde lorsqu'une voiture passait, diffusant la lumière de ses phares. C'était rare. Puis j'ai glissé mon nez sous mon t-shirt. Celui des Beatles, d'Andrew. J'y trouvais un soupçon de lui.

C'est alors qu'un léger bruit de pas m'a alerté. Je n'ai pas eu le temps de me poser la moindre question que la porte s'est ouverte dans un grincement discret. Je me suis tendu. Qui était-ce ?

— Léonard ? a-t-on chuchoté.

C'était la voix de Karen. J'ai soufflé, soulagé.

— Oui ?

— Je peux venir ? Je sais qu'il est tard mais je voudrais te parler.

J'ai souri. Je voyais en sa venue du réconfort.

— Oui, bien sûr, ai-je répondu.

La mère d'Andrew s'est alors glissée dans la pièce obscure tandis que je me redressais.

— Vous voulez que j'allume la lumière ? ai-je demandé.

— Non non. Celle de dehors est suffisante.

Je sentais qu'elle prenait garde à parler d'un ton le plus bas possible. Je comprenais.

— Votre mari va peut-être se réveiller.

— Non, ça devrait aller. Il prend des somnifères avant de se coucher.

— J'espère.

Elle s'est assise sur le rebord du lit. J'ai soudain pensé à ma mère ; elle faisait pareil quand j'étais petit, pour me dire bonne nuit ; même si c'était bien différent.

— Ecoute, je suis terriblement désolée, a-t-elle soufflé.

— Ne le soyez pas. Vous avez été formidable.

— Je t'ai entendu dire à Andrew que tu l'aimes, hier soir. Tu sais, je ne dors pas beaucoup.

J'ai repassé la scène dans ma tête – elle était belle – avant de me souvenir de la nuit où j'avais surpris Karen et Andrew parler de son angoisse. Je comprenais à présent ce qu'il voulait dire par « il ne doit pas savoir ». Les problèmes étaient tout autre, ce soir.

— C'est la vérité.

— Tu es un ange venu du ciel, tu sais ? Il a repris goût à la vie dès que vous vous êtes mis à vous parler.

— Peut-être, ai-je souri. Tant mieux. Mais... maintenant...

— Je sais...

J'ai fui son regard en le raccrochant une fois de plus au plafond. Ne pas pleurer. Pas une fois de plus. Il était temps de trouver une solution.

— Je peux vous poser une question, Karen ?

Elle a hoché la tête.

— Est-ce que vous aimez votre mari ?

Je l'ai sentie sourire nerveusement.

— Connor et moi ne sommes pas mariés.

— Oh, ai-je laissé échapper.

— Il n'a jamais voulu. Il dit toujours que je n'ai pas besoin d'un anneau pour lui appartenir.

Je restais bouche bée. Lui appartenir ? Où était la blague ? D'un autre côté, qu'ils ne soient pas mariés... pouvait simplifier les choses.

— Et donc, vous l'aimez ?

— C'est compliqué, quand on est adulte.

Je n'aimais pas forcer, mais c'était vraiment important. Je suis alors resté silencieux, sourcils froncés. Elle a dû remarquer que je ne lâcherai pas la grappe. Son regard attendri est devenu triste.

— Je ne sais pas.

— Je sais que je n'ai vraiment pas à donner mon avis, mais je voudrais vous aider. Je ne pense pas que vous l'aimiez. Du moins, vous n'êtes pas heureuse avec lui. Mary m'a dit qu'il était devenu dur avec vous.

— C'est un comble, a-t-elle bredouillé. Je suis psychologue et je ne sais même pas me comprendre.

Je lui ai souri. C'était étrange d'avoir cette position de boussole humaine, presque d'adulte. Karen a finalement poursuivi.

— En fait, pour Connor, c'est de ma faute si Andrew est homosexuel. Il dit que c'est moi qui l'ai mal conçu.

Elle a soufflé d'un air à la fois abattu et désespéré. Moi aussi. Se rendait-elle vraiment compte que Connor était simplement à fuir ? Je ne pouvais malheureusement pas penser à sa place. Malgré tout, elle a continué. C'était comme si c'était un soulagement de parler de ça à quelqu'un. J'ai imaginé que c'était la première fois.

— J'ai probablement peur de lui. Il me menace tellement que...

Elle n'a pas fini sa phrase, probablement incapable. Epuisée. Cette femme que j'admirais pour son courage me faisait beaucoup de peine.

— Je pense que vous le savez que ce n'est pas normal ?

— Oui, mais les enfants... surtout Mary. Je ne veux pas la déstabiliser. Elle est trop jeune pour comprendre ces problèmes-là.

— Elle se rend compte de la situation, croyez-moi. Elle m'en a parlé deux fois. D'abord, quand on est sorti du bateau...

Son regard est devenu alerte.

— Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

Je lui ai expliqué brièvement. J'ai tenté d'insister sur ce qu'elle retenait des mots de son père. Après ça, j'ai raconté la deuxième fois, qui s'était produit quelques heures plus tôt. Son air abattu.

— Elle t'aime beaucoup. Ça ne m'étonne pas qu'elle soit triste.

— ...

— Ce que tu viens de me dire va me faire beaucoup réfléchir, tu sais ? a-t-elle articulé alors que ses yeux s'étaient mis à briller.

Les pleurs, que les pleurs.

C'était beaucoup trop pour qu'elle n'ouvre pas les yeux. Tout était entre ses mains.

J'ai fini par sourire, parce que j'avais peut-être réussi à la faire réfléchir. Peut-être. J'espérais. 

Les pièces de théâtre ne se lisent pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant