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— Léonard, a-t-il lâché en se frottant le visage d'un geste fatigué.

Il essayait peut être de mettre à l'abri ses yeux de la lumière.

Assis en face de lui, en tailleurs, j'ai senti mon être se raidir. Il s'apprêtait à m'avouer quelque chose, alors j'avais intérêt à l'écouter.

Il a pris une inspiration. Andrew semblait épuisé.

— Je ne sais pas si je dois t'avouer que je pense qu'il faut que t'arrêtes tout ça. Nous deux, c'est impossible. Même si on le voulait. Même si on s'aimait plus que Roméo et Juliette, Cyrano et Roxane et Figaro avec Suzanne. On ne peut pas.

J'ai détourné le regard vers le livre de Shakespeare posé sur la table de chevet. Je ne l'avais d'ailleurs pas commencé. Je sentais mon cœur se serrer dans ma poitrine. Et il a continué :

— Alors s'il te plaît, arrête de tout faire pour que je te saute dessus. T'es beau, Léonard. T'as l'air d'être quelqu'un d'exceptionnel aussi, très intelligent. Je t'aime beaucoup. Plus que ce que je ne devrais.

Il a soufflé.

— Mais je ne peux pas dépasser les limites.

Je tremblais. J'avais compris ce qu'il voulait : qu'on ne se parle plus.

Puis soudain, la porte de ma chambre s'est ouverte en grand. Andrew et moi avons tourné la tête en cette direction. C'était Mary, dans son pyjama en velours rose, les cheveux en bataille. Elle a porté une main devant son visage pour se protéger de la lumière.

Andrew s'est levé d'un coup — il avait l'air de s'être remis de son malaise — et a rejoint la fillette visiblement tout droit sortie de son lit. Il était presque quatre heures.

— Qu'est-ce qu'il y a, mon ange ? a-t-il murmuré.

Je sentais les larmes me monter aux joues. J'essayais discrètement de les effacer du bout des doigts. J'étais mal. J'avais besoin de m'endormir et de me réveiller dans une autre vie où il n'y aurait pas d'Andrew Maxwell pour me faire tomber amoureux.

— Vous faites trop de bruit, a-t-elle minaudé en boudant.

Il l'a alors prise dans ses bras et l'a portée contre lui. Ils se sont éloignés, me laissant seul.

— Je suis désolé, on va arrêter, l'ai-je entendu lui chuchoter. C'est promis.

*

Le lendemain, je ne l'ai pas vu. Je faisais semblant d'aller bien mais je sentais bien que mon intérieur était brisé. Je n'avais définitivement plus aucune chance et il fallait que je passe à autre chose. Le soir, je suis allé dans le centre de Londres et me suis acheté des cigarettes. Je ne savais pas si c'était le début d'un statut de fumeur mais je pensais en avoir besoin. Avec du recul aujourd'hui, je pense que c'était un peu ridicule. Il était vingt-deux heures trente passées lorsque je suis arrivé dans Oxford Street. Je me suis arrêté à ce carrefour, celui avant la librairie, et j'ai imaginé revoir son reflet dessiné à côté de moi, dans la vitrine du magasin d'en face. Il ne pleuvait pas, ce soir là. Du monde grouillait sur le trottoir. J'ai pensé à aller au cinéma, pour me changer les idées. J'ai regardé sur mon portable les films à l'affiche mais rien ne me tentait ; ce n'était pratiquement que des films romantiques. Andrew me manquait déjà. Je crois que j'étais accro à lui. C'était malsain ? Peut-être. Mais il avait involontairement déterré en moi les pièces du puzzle manquantes : celles qui définissaient ma sexualité. J'étais gay, et je ne pouvais le renier. J'ai pensé à appeler mon père, pour tout lui raconter. Au point où j'en étais, de toute façon... Puis je me suis abstenu. Il était le seul être sur cette foutue Terre que je ne voulais pas décevoir. Mes pseudos-amis allaient sûrement fuir lorsqu'ils apprendraient la vérité à mon sujet. Ma mère ? Elle irait prier à l'église, peut-être. Ou bien elle s'en ficherait. Je ne savais pas trop. Ma sœur m'embêterait à propos de ça, mais elle était trop jeune pour comprendre.

J'en ai conclu qu'aimer les garçons s'avérait plus compliqué que ça ne devait l'être. Parce que l'amour est une chose simple rendue difficile par l'humain lui-même.

J'ai continué à marcher, ma cigarette pendue à mes lèvres sèches finissant de se consumer trop rapidement. J'ai eu l'idée d'en glisser une sous la porte d'Andrew en rentrant. Juste pour lui rendre celle de la dernière fois. Mais il avait été clair : je devais arrêter.

Je suis finalement arrivé au niveau de la librairie. Une faible lumière transperçait le carreau de la porte. Était-ce encore ouvert, à cette heure là ? J'ai appuyé sur la poignée. Comme ça, juste pour voir. Elle était bloquée. C'était fermé et tant pis.

J'ai encore longé les hauts bâtiments lumineux, croisé des couples de tout âges qui m'ont fait légèrement grimacer. J'étais jaloux. Jaloux parce qu'ils étaient heureux dans un amour simple, et pas moi.

J'ai alors senti une main se poser sur mon épaule. J'ai sursauté, pris de court, avant de me retourner.

Je connaissais ce visage.

Les pièces de théâtre ne se lisent pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant