52

3.7K 431 33
                                    

Andrew s'est râclé la gorge, sans doute embêté. Alors que je m'apprêtais à lui demander quelque chose – n'importe quoi – il s'est imposé :

— Je sais que tu veux me parler de mes années scolaires, au lycée. De ce qu'on m'a fait. Je sais que je te l'avais promis alors ne t'inquiète pas.

A vrai dire, ce n'était pas dans mes questionnements premiers. Je savais qu'on lui avait fait vivre une enfer ; je l'avais lu. Je n'en avais pas besoin de plus. Mais s'il était prêt à me raconter, alors...je me suis tu, curieux. J'étais prêt à l'écouter.

— En fait, ça a commencé au milieu de mon année de première, a-t-il commencé d'une voix incertaine. J'ai dit à un « pote » que je trouvais un garçon mignon, tout ça sur un air de déconne tu vois ?

— Hum.

— Sauf qu'il a commencé à le crier. Le genre « je veux me montrer ».

Sous mon corps avachi, je l'ai senti se tendre un peu. Je suis allé chercher sa main et me suis mis à la caresser d'un air absent. J'attendais la suite, pensif.

— C'est le style de mec à se servir des autres pour se mettre en avant, ai-je répondu. Ne t'inquiète pas, je vois tout à fait.

Il a ri nerveusement avant de déposer un baiser sur le haut de mon crâne. Puis il a poursuivi.

— Après, le reste des mecs est venu se mêler à son jeu. Evidemment, le mec mignon...

— Il était vraiment mignon ? l'ai-je coupé sans réfléchir.

— Ouais.

J'ai embrassé sa main. Il était mien.

Devenais-je jaloux ?

— Enfin bref, a-t-il poursuivi. Cette histoire partie d'une plaisanterie avec un mec a duré toute l'année. J'ai eu droit à des « tapette », « pédé », et imitations de drag-queen censées être drôles. Je me forçais beaucoup à rire parce que j'étais persuadé que si je montrais que ça me touchait, ils sauraient que je trouvais vraiment ce mec mignon. Evidemment, lui il a eu peur. Le pauvre était timide. Je traînais avec le genre « populaire ».

Il a encore ri, et c'était encore nerveux. Je n'ai rien dit, malgré tout ce que je pensais. Ces mecs étaient vraiment des ordures.

— En été j'ai rencontré Noah et j'en suis tombé amoureux. Notre relation a commencé au début du mois d'août il me semble. Enfin peu importe. Ensuite, je suis passé en terminale et mon groupe de potes semblaient avoir oublié leur vanne préférée, à ma plus grande joie. Pourtant, il y avait Noah, maintenant. Et Noah n'avait pas peur du regard des autres, contrairement à moi. J'avais toujours peur qu'on apprenne ma relation, je devenais fou. Je me suis beaucoup renfermé, j'ai du mentir un paquet de fois. J'ai même embrassé des filles à des soirées. Jusqu'au mois de janvier, ça fonctionnait comme ça. Je voyais Noah chez lui et c'était tout. Puis j'ai eu dix-huit ans et tout a explosé. A la sortie des cours, le jour même de mon anniversaire, il est venu et m'a embrassé devant tout le monde. On m'a pris en photo, ça a été diffusé en masse, et le lendemain tout le monde le savait. L'effet domino, tu connais ? Ils ont tous suivi. Plus personne ne me parlait, si ce n'étaient que quelques filles, moquées elles aussi. J'ai fait mes premiers pas en enfer. A côté, je fréquentais encore Noah. Je ne lui disais pas parce que ça n'avait pas d'importance pour lui. Les gens, il n'en a rien à faire. Pas moi. J'ai commencé à vomir régulièrement sous le coup de l'angoisse. Parce qu'on ne faisait pas que me dévisager... C'étaient des insultes, tous les jours. Des bastons auxquelles je perdais à la sortie, des photos de moi au toilettes pour Grindr, aussi. Et comme t'as vu, ça continuait sur les réseaux. Une fille l'a dit au proviseur vers la fin de l'année ; il a répondu qu'il n'allait pas les renvoyer à un mois du bac...

— Et tes parents, dans tout ça ? ai-je lâché d'un ton à peine audible.

Une montagne de sentiments m'assommait. Je n'osais pas imaginer Andrew.

— Comment leur expliquer ? Peut-être avec un « salut maman et papa, je me fais tabasser parce que je suis gay ! » ? Non. Je ne voulais pas leur apporter de préoccupations. Au fond, quand je vois ce qu'il s'est passé avec mon père j'ai bien fait de... de...

Andrew a commencé à bégayer. Je crois que je n'aurais pas dû lui parler de « parents ».

— Laisse tomber, essaie de ne pas y penser.

— Mais il revient demain.

— On s'en fiche, là on n'est qu'à deux. Autant en profiter non ? ai-je souri en tentant de le tranquilliser.

— Ouais.

Nous nous sommes tus, et je caressais toujours sa main d'un mouvement lent et circulaire. Malgré le silence, je savais très bien qu'Andrew pensait. Il pensait même beaucoup trop. Je me suis mis alors à chercher un moyen de l'en empêcher.

Parce qu'il restait huit jours et que je voulais enfin qu'on lâche prise.

Rien qu'une nuit.

Les pièces de théâtre ne se lisent pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant