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Je me suis étiré avec une seule idée en tête : appeler Karen. Il était tout juste neuf heures, et Connor n'était pas censé être chez lui. En dessous de moi – nous avions un lit superposé – mon père ronflait bien fort. A croire qu'il profitait à fond de ses premières semaines de vacances d'été. Je pense réellement que sa plus grande passion est de dormir. Je me suis demandé si ça valait le coup de le réveiller. L'attendre, ou ne pas l'attendre ? Quelle question.

Finalement, c'est en descendant l'échelle qu'il s'est réveillé de lui-même. Un grognement m'en a averti. J'étais étrangement de bonne humeur, ce matin-là. Ça, c'est parce que Karen allait me dire où j'allais pouvoir retrouver Andrew. Et rien n'était plus précieux.

Good morning, fiston, a lancé mon père dans son merveilleux accent français.

En plus de ça, il l'avait exagéré. J'ai levé les yeux au ciel avec un sourire.

Hi dad.

— Pas mal le t-shirt, m'a-t-il fait remarquer en se dégageant de sa couette.

C'était étrange de le voir dormir dans un lit minuscule, sans maman.

I know, ai-je souri.

— C'est bon, tu peux parler français. C'est un cadeau de ton petit-ami ?

J'ai approuvé d'un mouvement de tête avant d'enchaîner :

— Il faut appeler Karen !

— Oui, oui. Ne t'excite pas trop tout de même, d'accord ?

Mon père prenait tout son temps. Il me faisait mariner. Ça m'énervait gentiment et il le savait très bien.

— Comment ne pas être juste super heureux d'avoir des nouvelles des gens qu'on aime ?

— Attends, tu parles de ton Andrew ou de sa mère ? a-t-il ri. Ça sonne bizarre.

Je lui ai balancé le premier truc de ma valise sur lequel j'étais tombé. Un short.

— Andrew. Même si j'adore Karen.

— Ta mère va être vexée.

— Tu sais très bien que je vous adore aussi.

— Et moi encore plus.

— Non, c'est équivalent, ai-je rétorqué en prenant un air malin.

Mon père s'est frotté le menton.

— Toi, tu n'as pas l'air de vouloir un certain numéro.

J'ai pris un air boudeur.

Trois minutes plus tard, mon père m'a balancé son portable. Décidément, il était en forme.

— Allez, vas-y Roméo.

J'ai buggé.

— Roméo ? D'où tu sors ça ?

— Bien je ne sais pas, tu m'as fait penser à Roméo qui veut à tout prix retrouver sa Juliette. Il y a un problème ?

J'ai souri.

— Non, rien.

Puis j'ai déverrouillé son IPhone et fait défiler les contacts jusqu'à trouver le numéro de Karen Maxwell. Qui n'était du coup pas Maxwell, puisqu'elle n'était pas mariée...

Je me suis demandé quel était son nom de famille, de ce fait.

Ça a sonné plusieurs fois. Les bip me paraissaient éternels. Et puis on a décroché.

— Oui, allô ?

— Karen ? ai-je répondu, presque intimidé.

C'était étrange. Ce n'était pas comme si ça faisait six mois que l'on ne s'était pas parlé. Seulement une petite semaine. Cinq jours.

— Oh, Léonard ! Tu es bien rentré ? Comment vont tes parents ? s'est-elle précipité.

J'ai légèrement souri.

— Et bien justement... Je vous appelle pour vous dire que je suis encore à Londres. Mon père est avec moi. J'ai eu ma mère au téléphone et elle va bien.

Quelques secondes de silence. Karen devait être perplexe, derrière son téléphone.

— Oh. Comment ?

Sa voix laissait soupçonner surprise et joie.

— Du côté de Brixton, dans un hôtel.

— Tu appelles pour prendre des nouvelles d'Andrew, n'est-ce pas ? a-t-elle soufflé.

— Des vôtres aussi, ainsi que Mary.

— Mary va bien. Et Andrew est toujours chez ma sœur.

— Et vous ?

— Disons que ça va, tu veux bien ? Bon, donnes-moi tout de suite l'adresse de ton hôtel. Je peux passer en début d'après-midi. On parlera de tout ça.

Je l'ai entendue souffler un bon coup. De mon côté, j'avais hâte qu'elle vienne. Pour parler. La convaincre. De partir. Très loin.

Je lui ai donné l'adresse. Maintenant, il fallait attendre quelques heures.

A peine habillé, mon père a voulu sortir de l'hôtel. Ça n'a pas été difficile de me convaincre, d'autant plus que la météo était avec nous. Il était presque onze heures lorsque nous sommes arrivés dans un restaurant situé à une vingtaine de minutes de là. Nous y sommes sortis une demi-heure plus tard. Ensuite, j'ai emmené mon père à Hyde Park, et me suis replongé doucement dans les souvenirs dont Andrew faisait partie. J'ai tout raconté à mon père. C'était étrange de revoir les débuts, les hauts et les bas. La fin. Connor. Il a semblé m'écouter avec passion.

— Je suis fier de toi, tu le sais ça ?

J'ai juste souri, avant de me redresser un peu sur le banc que nous avions déniché.

— Et je suis désolé de t'avoir mis la pression avec les filles. Ce n'était pas mon intention. Je voulais juste être drôle.

— Tu es drôle, papa. T'inquiètes, ai-je soufflé en riant désespérément. 

Les pièces de théâtre ne se lisent pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant