— Non, vraiment... ai-je insisté
Je commençais à être mal-à-l'aise. Je n'étais pas franchement ami avec mon corps alors le lui montrer, ça me semblait impensable.
Je me suis rappelé les cours de piscine avec monsieur Bruno au collège ; soit je les séchais, ou bien (quand ma mère s'en rendait compte) j'allais endurer les regards de mes « camarades ». Les adultes aimaient bien nous appeler comme ça, entre nous.
Pour moi, « camarade » voulait dire « ami ».
Je ne pense pas que ces personnes-là étaient mes amis comme je ne pense pas non-plus que les homophobes sont les amis des gays, ai-je pensé.
J'ai baissé les yeux, puis les ai remonté.
Est-ce qu'il pouvait comprendre ?
— Si j'arrive à comprendre ton mal-être par rapport à ton orientation sexuelle, tu devrais comprendre le mien avec mon corps, Andrew.
J'ai soufflé, embêté de devoir remettre le sujet sur le tapis.
Mais contre toute attente, il ne s'est pas frustré. Il s'est installé, le dos contre le mur, perpendiculairement à moi. Et il m'a souri.
— On n'a pas à reparler de ça, Léonard, a-t-il murmuré en appuyant le ton sur mon prénom. Mais je voudrais plutôt t'écouter comme tu l'as fait pour moi, l'autre jour.
J'étais heureux, à ce moment-là. Parce qu'il avait l'air plus détendu qu'il ne l'était avant de m'entendre. Je me suis dit que, peut-être, il m'avait cru. Mais si c'était simplement parce que Brooke lui avait dit que... ?
Peu importe, elle m'avait confié des choses aussi. Les choses.
Celles qu'inconsciemment, je voulais entendre.
Et là, il m'écoutait à son tour. Il voulait entendre mon histoire, mes problèmes.
— Il n'y a rien à dire, juste que voilà... on dirait une asperge. Je suis fin, sans muscles.
— Et puis-je savoir sur quel modèle tu te bases ? a-t-il répondu du tac au tac en fronçant les sourcils.
Sa question n'était pas bête, elle m'a perturbé. Quel modèle ?
— Je... tout. A la télé, sur Instagram, sur les affiches publicitaires. Ils sont mannequins parce qu'ils sont beaux ! Et pourquoi ? Parce qu'ils ont un beau corps et une belle gueule.
Il a entrouvert lentement les lèvres, en silence.
J'étais persuadé d'avoir raison, et qu'il n'y trouverait rien à répondre.
Alors j'ai continué :
— Et regarde-moi cette tête de triangle à l'envers... ces yeux juste marrons et ternes, ces sourcils trop fins, ce nez trop long.Puis j'ai porté une main à mes cheveux et ai fait mine de vouloir les démêler.
— Et ces cheveux...
Il a attrapé mon avant bras en plein vol, alors que ma main quittait ma masse capillaire sombre.
Il l'a déposée lui-même sur le matelas, sans pour autant la lâcher.
— Ton visage est magnifique, je te promets. Ton nez aussi, tes yeux ne sont pas ternes. Je te promets qu'ils brillent en ce moment même.
J'ai vu ses yeux basculer vers mes lèvres mais il n'a rien dit.
Je me suis demandé si un jour, on s'embrasserait. Si on serait amoureux, ensemble, et si on s'en ficherait du monde autour et de leurs regards dévastateurs.
Si on ferait un pas.
Il a relevé ses iris vers le haut de mon crâne.
— Et j'aime beaucoup tes cheveux, aussi.
Il m'a libéré le bras.
— Je ne sais pas si je devrais te croire parce que ce n'est qu'un avis subjectif. Surtout le tien, et...
— Et ?
— Et bien... toi... tu m'aimes bien, c'est différent.
Il a ri doucement.
— On m'a dit que toi aussi.
— Et si nous arrêtions d'en parler ? Brooke n'était pas sensée...
J'ai éclaté de rire. Peut-être l'effet de la gêne.
— Oui, on va arrêter d'en parler. Faisons comme si de rien n'était, a-t-il alors répondu d'un air plus sérieux.
— Tu veux vraiment qu'on fasse comme si de rien n'était ?
J'avais retrouvé le calme à mon tour. Mon souffle s'accélérait et mon cœur battait plus vite. Mon système entier avait réagi en l'espace d'un instant.
— Pour l'instant, oui ? On ne se connaît pas assez.
— C'est sûr. Peut-être qu'au fond je suis complètement nul et vide ?
— Et moi, la reine d'Angleterre ?
— Elle a changé, la reine, me suis-je exclamé alors en riant.
Il a ri à son tour.
Ça faisait du bien de faire impasse sur nos problèmes, de simplement passer du temps ensemble comme avant qu'on sache.— C'est un secret, n'en parle à personne.
— Compte sur moi, ai-je murmuré avec un regard rapide.
Puis Karen a appelé à table et seul Andrew est descendu.
Je lui ai promis d'enfiler son t-shirt pendant qu'il serait en bas.
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Les pièces de théâtre ne se lisent pas
RomansaQuand il apprend avoir obtenu le bac avec mention, Léonard est fou de joie. Il peut enfin réaliser son rêve : partir un mois à Londres dans une famille d'accueil. C'est ce que lui avaient promis ses parents. Parler anglais, c'est sa motivation. De...