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J'étais affalé sur le canapé du salon en train de regarder les gouttes de pluie couler le long de la baie-vitrée quand Karen est venue me voir. Il devait être trois heures de l'après-midi. La mère de famille venait de déposer Mary chez une de ses amies, et elle allait y rester jusque six heures. J'allais donc être seul avec Karen jusqu'à ce qu'Andrew revienne.

— Tu veux faire quelque chose, Léonard ? a-t-elle murmuré en s'asseyant sur un fauteuil.

Elle a croisé les mains sur ses genoux et s'est penchée en avant pour attendre ma réponse. Je me suis immédiatement redressé et lui ai souri. Je crois qu'elle avait remarqué mon ennui.

— J'aimerais bien, oui. Vous avez quelque chose à me proposer ?

— Avec ce temps, malheureusement non, je suis désolée jeune homme. Sinon tu peux attendre Andrew, il arrive d'ici un quart d'heure.

Mes yeux se sont illuminés. J'avais l'impression de l'attendre depuis des semaines. Et pourtant, il était parti la veille. C'était étrange, je ne comprenais pas vraiment.

— Vous avez l'air de bien vous entendre, a souri Karen.

— Il est très gentil.

Elle a hoché la tête.

— Je ne te dis pas le contraire. Mais ne t'attend pas à ce qu'il parle beaucoup. Il est plutôt discret, ce n'est pas contre toi.

J'ai simplement souri. Je m'en fichais un peu, qu'il ne parle pas beaucoup. Je voulais juste qu'il revienne.

Je me suis enfoncé un peu plus dans le cuir du canapé, le laissant grincer derrière moi. J'ai respiré lentement, prêté attention au bruit de mon souffle régulier. Humé l'odeur de je-ne-sais-quoi agréable provenant d'un arbre parfumé disposé sur la table basse. J'étais détendu d'extérieur, mais mon cerveau était en feu. J'attendais Andrew. Un goût amer est venu me chatouiller la langue, j'ai serré les dents. J'avais soif, mais n'ai pas demandé d'aller me chercher un verre d'eau alors que Karen était à quelques mètres de moi. Je voulais consacrer mon entière attention sur chacun des bruits, prêt à entendre un bruit de pas, une porte qui s'ouvre. Prêt à le voir arriver, à faire semblant de ne pas l'avoir attendu, d'être occupé. Je ne voulais pas qu'il sache qu'il m'intéressait parce qu'il allait peut-être se poser les questions auxquelles je n'avais moi-même pas de réponses.

— Le voilà, a lancé Karen depuis son poste de surveillance rural.

Elle avait compris que je l'attendais alors m'avait soutenu en me tenant compagnie. Elle regardait à la fenêtre depuis dix bonnes minutes, un livre dont j'ignorais le titre à la main. Je me suis redressé dès qu'elle a parlé. Andrew était là, et j'avais fini de baigner dans un ennui interminable. La pluie n'y étais pas pour rien non plus ; j'aurais été me balader si le temps était meilleur. Karen m'avait déconseillé fortement de sortir, elle ne voulait pas que je tombe malade.

Je n'ai pourtant pas bougé du canapé, car j'ai pensé qu'Andrew m'aurait trouvé trop avenant s'il se rendait compte que je l'avais attendu. Je patientais juste, le regard fixé sur le petit bout de couloir visible depuis mon point.

La porte s'est ouverte, des pas se sont fait entendre, une rafale de vent a fait bouger les rideaux, puis la porte à claqué.

— C'est moi, a-t-il lancé.

Je l'ai entendu enlever un vêtement et l'accrocher au porte manteau. Portait-il la même veste que la veille ? La même chemise et le pantalon en velours côtelé ?

Karen, dans son habituelle réactivité, s'est précipitée pour l'accueillir. Je l'ai observée s'appuyer dans l'embrasure.

— Voilà mon garçon !

— Maman... a-t-il soupiré.

J'ai imaginé un de ses sourires légers se dessiner sur le coin de ses lèvres.

— Léonard t'attendait.

J'ai déglutis. Je ne pensais pas qu'elle lui dirait ; j'ai été trahi. Mais j'ai tout de même souri avant de me frotter les yeux, nonchalant. Paraissant détaché, désintéressé. J'étais certain que ma crédibilité était à pleurer.

— Ah bon ? s'est-il étonné.

Elle lui a ensuite chuchoté quelque chose et ça m'a vexé. On parlait de moi derrière mon dos. Mais d'un autre côté, je ne doutais pas de la gentillesse des propos de la mère de famille. J'étais quand même bien curieux de savoir ce qu'elle lui avait dit, et pourquoi elle l'avait fait à voix basse.

Karen est partie à la cuisine, et Andrew est apparu. J'ai fait mine de ne pas l'avoir vu en fixant mes pieds. Mais son rire léger m'a fait comprendre qu'il avait compris. J'ai relevé les yeux, revu les siens, étincelants. Ils étaient un peu moins rouges que la veille.

— Salut, a-t-il souri.

— Salut. C'était bien, chez ta copine ?

Je n'étais pas forcément discret sur mes questions mais j'avais besoin de savoir qui était Brooke. Si c'était réellement sa petite-amie, il répondrait. Sinon, il me rattraperait sur le terme. C'était mon plan, un peu ridicule certes. Je commençais à faire n'importe quoi. Qu'est-ce qu'il m'arrivait, bon sang ?

— Brooke n'est pas ma copine.

J'ai expiré discrètement. Je crois que j'ai été content de sa réponse. Il s'est approché en souriant et s'est assis dans le fauteuil que Karen avait occupé plus tôt, en face de moi. La délicatesse de ses mouvements me laissait presque paralysé d'intérêt.

— Nous sommes cousins, et meilleurs amis à la fois.

J'ai cligné des yeux plusieurs fois de suite en souriant.

— Désolé, alors. Mais c'était bien ?

— Oui, a-t-il répondu en riant.

Nous sommes restés cloués à nos fauteuils un bon paquet de minutes encore. J'aimais sentir sa présence, savoir qu'il était de retour, et que Brooke était sa cousine. Je voulais la rencontrer, qu'elle me dise des choses sur lui. C'était étrange. Il me fascinait réellement.

— On reste là ? a-t-il soufflé.

Sa question m'a surpris. Je n'ai pas su quoi répondre, et c'était bien rare. Alors j'ai haussé les épaules avant d'enfoncer mes mains jointes entre mes genoux.

— Tu, je.. a-t-il bredouillé, coincé dans sa timidité. J'ai pensé à te montrer un truc. En haut. T'es pas obligé d'accepter, si jamais...

Les pièces de théâtre ne se lisent pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant